Il reste tout

Préambule

Écrire sur ce sujet en ce moment, c’est dur. Dur parce qu’on ne veut pas parler pour les autres, les camarades dont je connais si peu de la condition. Parce qu’il ne s’agit pas de déformer leur pensée, leurs souffrances, leurs joies (cela reste assez universel), leur vie. Encore moins de l’interpréter, de l’extrapoler. Dur à cause de la répression qui s’abat violemment. A tous ceux qui se sentiront trahis par mes propos, pardonnez moi, corrigez moi, reprenez moi je vous en prie. Tout cela force à peser chaque mot mais je crois que le moment impose de ne pas rester silencieux.

Mort

Un jeune homme, Nahel, est mort à 17 ans. D’une balle. Pour un contrôle routier.
Tout relativisme de ce fait est inacceptable : un jeune homme est mort pour rien. Sa mère l’a perdu, ses amis l’ont perdu, il ne connaîtra plus jamais la joie, l’amour, l’ivresse, les poèmes, les chansons, le cinéma, les copains, les copines, il est sous terre à jamais. Pour un contrôle routier.

Révolte

Devant cette réalité, la jeunesse de ces quartiers (mais pas que) a décidé de tout cramer. 60 ans de police coloniale, d’état colonial, de racisme institutionnel, de mal logement, de chômage de masse, de mépris, de contrôle au faciès, de parents exploités, de services publics en ruines, tout cela a éclaté d’un coup. Il le fallait. Et dans ces cas là, la révolte ne cherche pas bien loin : faire mal.

Justesse

Dans ce « faire mal », il y a du juste et du moins juste. Comme le dit un camarade Gilet Jaune, en fait :

tout est question de justesse. Il y a un usage juste de la douceur, un usage juste de la parole et un usage juste de la violence.

Lisez attentivement le texte ci-dessus : personne ne crame jamais rien par plaisir. Ni moi, ni vous, ni eux. Les gens crament parce qu’il ne reste plus que ça. Quand on en est là, c’est le pouvoir qui impose la justesse de la violence, parce que c’est lui qui a épuisé « la douceur et la parole ». Dans le tas, il y a du moins juste voire du mauvais. S’en prendre à des camarades comme Cemil du MEDIA, à la famille d’un maire, c’est déplorable et évidemment condamnable. S’en prendre à des bibliothèques ? Victor Hugo répond et explique au dernier vers, après un large développement de la morale bourgeoise qu’on subit en permanence, les raisons du feu :

– Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui. J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.

Un feu social.

Il reste tout

Dans le tas, les gens s’attaquent à des commerces. Un Apple store à Strasbourg (on pleure), des lunetiers (qui ne doivent en vendre que deux par jour pour être rentable — on pleure aussi), des magasins de luxe (Vuitton — larmes, Gucci — contorsions de douleur, etc), mais aussi des Aldi et des Lidl.
Et c’est là qu’intervient la vidéo majeure : « il reste tout ».
Une dame entre dans un Aldi, et dit :

– Ils ont cassé le magasin je suis choquée. Ils ont cassé le Aldi (j’ai failli tomber)

Le pouvoir en est resté là avec ses « journalistes », misère absolue de la pensée. Mais la vidéo continue (elle croise un jeune qui sort avec des affaires dans les bras) :

– il reste de la lessive ?

Et lui qui répond :

– ouais il reste tout

Cette fois, ce sont les fachos qui se moquent, qui raillent le gamin (noir) et la dame qui cherche sa lessive. Aucun écho médiatique. Pourtant la vidéo de « il reste tout » « contient tout ».

Nécéssité

La dame cherche de la lessive. De la lessive. Dans un Aldi.
Dans les innombrables vidéo snap, twitter et tiktok que j’ai pu voir depuis 5 jours, les gens prennent de la bouffe. Même le type qui s’en va avec son transpalette prend du papier toilette. Une autre, très fière, montre qu’elle a trouvé des crevettes. En tout, je n’ai vu qu’un seul type prendre du superflu : une débroussailleuse alors qu’il admet vivre en appartement.
Les gens prennent ce dont ils ont besoin, ce qui leur est interdit par le niveau des salaires, par le chômage, par la famille au pays, par l’inflation.
Ils prennent, mais « il reste tout ».
Les étals restent pleins, les commerces remarcheront dans une semaine, les assurances auront payé, l’état qui tue et mutile aura payé.

Structures

Il reste tout dans les étals, certes, mais il reste tout ailleurs aussi. La police est toujours là, elle est toujours raciste et violente. L’État est toujours là, raciste et violent. Le capital est toujours là, raciste et violent. Peut être faut-il, pour qu’il ne reste plus rien de cet ordre, qu’il ne reste plus rien, temporairement, chez Aldi. Limites d’un mouvement.

Limites

On sort de 5 mois de retraites. De Sainte Soline. Du covid. Du pass. D’autres retraites. Des gilets jaunes. De nuit debout. De la loi travail. Etc. Pourquoi n’a-t-on pas immédiatement soutenu ça ? C’est pourtant un réflexe de qui est de gauche : soutenir le dominé contre le dominant. Certains partis ont tenu la ligne, d’autres ont fini de s’effondrer. Certains syndicats ont fait un peu, d’autres rien. Certains media ont fait, d’autres ont nui. Dans mes camarades gilets jaunes, certains y vont, s’y battent. D’autres ont basculé dans un racisme crasse.

Fascisme

A vrai dire, l’occasion est perdue pour longtemps. Il fallait soutenir ça immédiatement. Aider à y donner un débouché politique. Montrer la solidarité du travail. Montrer que face au capital, face à Macron, nous sommes un. Mais pour l’instant c’est raté. La réputation de beaucoup d’organisations est carbonisée. J’écrivais à des amis, il y a deux jours, en leur envoyant un poste vu sur facebook titrant « je trempe toujours mes balles dans de la graisse de porc », que plus rien ne peut empêcher un fascisme 2.0.
Le pire n’est jamais certain, mais honnêtement je n’y crois plus.

Protection

J’en ai supprimé mon compte twitter. Je fais attention à ce que je dis. Cela fait longtemps que, les soirs d’action ou de déprime, je crais d’être arrêté à tout moment. Je veux limiter cette possibilité. Faites en autant. Je ne me ferai pas arrêter pour un paquet de lessive, un snap ou un tweet un peu trop tard. Protégez vous. Il reste tout. Il leur reste tout. Ils le garderont et ne céderont rien.

Hommage

Merci aux camarades de Nahel. A ses amis. A tous ceux qui se battent. Ne soyez pas sages, c’est impossible, mais ne soyez pas idiots. L’état est trop fort. Encore.

La lutte c’est la fête !

Demain le conseil constitutionnel rend sa décision.

Naturellement les autres institutions y sont suspendues. Intersyndicale, partis, etc. Toutes et tous attendent la décision des « sages ».

Les « sages » valident le contrôle d’identité partout à Mayotte (préalable à l’ignoble opération de Darmanin où les flics marquent des maisons) ? Ce sont des « sages ».
Les « sages » valident la détention administrative, c’est-à-dire sans jugement, dans les CRA ? Ce sont des « sages ».
Les « sages » jugent que les pénalités d’impôts d’entreprise relèvent du droit pénal et non administratif ? Ce sont des sages. Forcément, les bamboulas, on peut les foutre au gnouf sans jugement, il en va autrement des comptes fiscaux des Veolia ou de Renault. C’est ça la « sagesse ».

Quand des camarades d’ATTAC osent mettre une banderole en face du conseil, demeure des « sages », ils vont en garde à vue. C’est normal ! Ils dérangent les « sages ».

Que faudrait-il alors attendre d’une telle institution sinon le pire ?

Rien que le pire. Demain les « sages » rendront leur copie. Peu importe ce qu’elle contiendra (et à mon avis elle contiendra de quoi permettre à Macron de continuer son mandat destructeur tout en permettant aux ramollis de prétendre avoir gagné sur telle ou telle mesure annexe).

Elle contiendra surtout la faillite et la déligitimation finale des institutions. Les gens sont, pour partie, suspendus à la décision de ce qu’ils pensent être un rempart alors que ce n’est qu’une vitrine.

Le conseil constitutionnel est la vitrine légale de la suprême violence du capital. C’était le slogan de la manifestation que j’avais déclarée demain.

Interdite.

Des gens assis menacent « l’impératif de maintien de l’ordre public ». Fin de la blague. En fait pas de blague du tout, c’est tragique. On ne peut plus s’asseoir.

S’asseoir menace l’ordre public

Tout à l’heure, j’étais en manifestation avec des amis. J’étais place de la bastille. Une grenade a explosé à un mètre de moi. Je discutais avec un camarade égoutier. On devait également menacer l’ordre public. Un peu plus tard, Une charge. Des coups de boucliers. Des flics en rage. On ne faisait rien. On parlait.

Parler, c’est une menace contre l’ordre public.

Faut dire qu’on parlait debout.

On en est là, assis entre la rage et le désespoir, face à l’absurde, face au vide, mais pourtant on continue. On se heurte à nos institutions, notre entreprise, notre famille, nos amis. A leur dire ce qu’on voit, ce qu’on vit, ce que les copains vivent. Mais rien ou si peu.

Il y a deux semaines j’étais sur le piquet des raffineurs du Havre. Là bas on voit les institutions et la société à nu. Tout s’y retrouve à poil. En arrivant, des flics, en armes, devant un panneau « propriété privée ». Derrière, la méga-usine Total qui crame le climat pour le profit des actionnaires. A côté, un panneau disant qu’ils économisent du CO2, le mensonge et l’absurde. Devant : des travailleurs, menacés de réquisition (certains ont eu droit aux flics chez eux à 3h du matin devant les enfants), mais debout. Des camarades de paris, d’ailleurs. Debouts. Le rapport salarial mis à nu : travail ou matraque. Le climat mis à nu : crame l’atmosphère ou matraque. Mais aussi l’amitié et la fraternité : des profs, des étudiants, des gay, tout le monde, en amitié avec les raffineurs.

Parce qu’en fait, les plus jolis mots de cette lutte qui ne fait que commencer appartiennent aux parents de Serge :

Notre monde c’est aussi la lutte et la lutte c’est la fête

Quand on lit ces mots, ces mots de gens dont le fils est entre la vie et la mort, de gens qui ont malgré tout la force de se tenir debout, d’insuffler de la joie au milieu d’un tel malheur, que pèse la décision d’un conseil quelconque ? Aurais-je la force d’en écrire de tels si un de mes enfants était dans cet état pour ses idées ? Allez-savoir. Mais pourrais-je être ailleurs qu’avec eux ? J’ai versé un torrent de larmes à leurs mots : certainement pas.

Le conseil, les institutions, l’assemblée, les flics, c’est la mort. La mort figée d’une pourriture bourgeoise dont la moustache trempe dans la soupe.

La vie appartient à ceux qui luttent.

Aujourd’hui, la plupart de mes amis sont des amis de lutte, parce que quand on lutte, on vit. La lutte est une fête disent les parents de Serge. Qu’ils ont raison ! Même sous les lacrymo, les grenades et les charges, on fait la fête. Derrière les cordons de CRS ils meurent de nous faire mourir. Leur vie n’est rien que de la merde quand la nôtre est belle.

A la fin, ce sont toujours les belles choses qui gagnent.

Ce sont les bisous, la poésie, les caresses dans les cheveux, les mots doux au chevet d’un enfant, une berceuse… Ni la matraque ni le PIB.

Nous gagnerons ! Pour nous, pour nos enfants, pour la vie, pour la beauté du monde.

Épiphanie

Ça y est !

Après des années d’égarement, j’ai compris.

Je veux donc commencer ce billet en présentant mes excuses. Je me suis égaré, j’ai été vulgaire, inquiet (bien inutilement), j’ai passé des années à contre sens. Je me suis opposé frontalement à tout, j’ai essayé d’y encourager les autres, je suis allé soutenir tous ceux qui en faisaient autant. Quelle erreur funeste.

Je pensais naïvement que 2 et 2 faisaient quatre. J’en étais à jurer. Contre Dieu et contre la raison. Comme Dom Juan et contre le paysan miséreux.

Pas plus tard qu’il y a deux jours, je jurais encore que 2 et 2 sont quatre.

Mais depuis, des choses cruciales se sont passées qui m’ont fait entendre raison.

Entre temps, la préfète de Sainte-Soline, Gérald Darmanin, un jeune officier de gendarmerie, Eric Zemmour, Cyril Hanouna, des sources diverses en somme, m’ont expliqué les raisons qui avaient conduit à la situation autour de cette très sainte propriété privée. Les journalistes, unanimes sinon quelques gauchistes, ont développé et approfondi cette parole pour en tirer une conclusion unanime : l’État détient le monopole de la violence. Il est donc normal que l’État mette des gens dans le coma, leur arrache des pieds, des pouces ou leur crève les yeux : c’est légitime. En fait c’était simple comme bonjour. Il suffisait de se contenter de lire un dictionnaire de citation de Max Weber. Geste simple que je n’avais jamais accompli. Malheur à moi.

Entre temps, Emmanuel Macron, rempart lumineux des démocraties du monde libre, a pu s’exprimer dans les colonnes de Pif Gadget. Enfin un journal a daigné recueillir sa précieuse parole. Il s’y adresse aux enfants. J’en suis un moi aussi, si petit devant sa grandeur et la profondeur de sa pensée. J’ai compris le symbole un peu tard : il s’agissait de me rappeler ma place. Ma place, c’est au CE2. Je l’admets volontiers, moi qui ne comprends que si tard les subtilités de la politique. Moi qui me suis bêtement opposé à des choses aussi naturelles (quant on y pense sérieusement) que la vente d’Alstom, la réforme des retraites, celle du chômage, la flat tax, la fin de l’ISF, l’ARENH…

Entre temps, Marlène Schiappa s’est exprimée dans Playboy. Enfin une ex-ministre met les femmes à leur place : à poil. A poil on est libre. Exposée nue devant les regards des hommes, on réinstaure enfin un rapport d’égalité entre hommes et femmes. Celui qui regarde et celle qui est regardée. En rappelant que l’espace est isotrope et que regardant et regardée se sont que les deux extrémités d’un rayon lumineux, Marlène remet de la physique dans le débat public tout en défendant la cause des femmes. Quelle profondeur ! On n’avait pas vu ça depuis Poincaré. Quelques mauvais esprits l’accusaient de faire diversion quant à la gestion du fond Marianne… ils n’ont rien compris.

Entre temps, Olivier Dussopt a fait sienne la cause LGBT en révélant son homosexualité dans le journal Têtu. Quel courage ! J’en ai été saisi d’admiration. Faire ça en pleine réforme des retraites, réforme nécessaire s’il en est mais contestée comme jamais par un peuple de lecteurs de Pif Gadget. Faire ça quand on sait les conséquences d’un coming out sur certains jeunes gens : violence, isolement, abandon. Il a tout risqué et certains l’ont décrié. Honte à eux.

Entre temps une personne de peu de foi qualifiait notre très saint président d’ordure. Très naturellement, elle a été interpellée chez elle par des policiers n’écoutant que leur courage. Elle sera jugée en juin pour injure publique aggravée (personne dépositaire de l’autorité publique). C’est heureux et j’espère quelle sera lourdement condamnée. Où va la démocratie si les gens peuvent se mettre à insulter leurs représentants ? La démocratie, c’est d’abord le débat. Mais un débat entre ceux qui peuvent en comprendre la nature : un débat entre gens « plus égaux ».

Entre temps le préfet Nuñez, dans sa grande sagesse, a lancé une procédure contre Jean-Luc Mélenchon après les propos de celui-ci sur les courageux policiers de la BRAV-M. Ceux-ci donnent de leur temps et de leur corps pour faire respecter l’ordre. Quel ordre ? Le bon, celui de notre président. Celui du très saint capital dont on ne va pas tarder à voir enfin les effets heureux sur notre écosystème. Il va de soi qu’un magistrat s’est saisi de cette plainte bien naturelle et pour tout dire, un peu tardive.

Entre temps, des sénateurs Républicains ont déposé une proposition de loi visant à limiter le droit de grève. Finie la grève chez les raffineurs. Finie la grève dans les transports ! Enfin. Libre d’aller au Touquet déposer une gerbe devant la maison du Guide, même en période de tension sociale. Enfin !

Entre temps, Gérald Darmanin a entamé une procédure de dissolution des soulèvements de la terre. Il était temps. Ces gens s’en prennent à la propriété privée, dont il faut rappeler que c’est un droit « sacré » dans la déclaration des droits de l’Homme. C’est même le droit le plus important à vrai dire. Celui qui fonde tout le reste. Pas de liberté sans propriété dit-on.

AU bout de ces quelques jours, j’ai enfin pris conscience de la réalité. J’ai réalisé que j’étais dans le camp de la violence, celui qui se bat pour dire que 2 et 2 font quatre en croyant qu’il s’agit là d’une vérité qui vaut la peine de se battre pour elle.

Mais la vérité, qu’est-ce sinon un consensus social ? Même en sciences, les théorèmes ne valent que si la communauté s’y accorde. Et dans cette communauté, un Alain Connes ne vaut pas un prof du secondaire. Ainsi en est-il en politique. La vérité est un consensus social, et dans la société, un Emmanuel ne vaut pas un rien. C’est difficile à admettre quand on prend notre devise à contre sens, mais c’est ainsi. Deux et deux font ce qu’Emmanuel décide. Il ne s’agit pas de dire que ça fait 5, ni 4, mais peut être 12 ou 3. Ce qui compte, c’est le consensus obtenu par le débat.

Quand Emmanuel Macron débat avec Bernard Arnault, ils peuvent décider démocratiquement que ça fait 13. Qui serions-nous pour remettre ça en question ? Il nous faut l’accepter en en attendre les bénéfices qui ne tarderont pas.

Aujourd’hui j’ai enfin compris, comme une épiphanie, ce qu’est vraiment la démocratie.

Aujourd’hui j’attends de savoir demain ce que seront 2 et 2.

Dès lundi, je retourne à des activités productives émancipatrices. J’irai quand même sur des piquets, des blocages ou des manifestations pour faire éclater cette vérité aux oreilles d’un peuple manipulé par des populistes de bas étage ou des syndicalistes corporatistes.

J’irai autant que possible. Je m’épuiserai à leur porter cette parole. Je me damnerai à ce qu’ils rejoignent le camp de la raison : 2 et 2 font ce que le capital décide.

Schutzstaffel

A Sainte Soline, S. est stabilisé. On se sait pas encore s’il s’en sortira (on prie pour), il est toujours dans le coma, mais déjà il n’est pas mort. Ses parents ont communiqué : « nous sommes fiers et nous portons plainte ». Autrement dit : nous sommes debout ! M., lui, ne risque plus la mort. Un autre a perdu son œil, un ou une autre risque de le perdre. Un ou autre autre son pied. Des dizaines de blessés. Des centaines personnes traumatisées. Et les secours empêchés de venir. Et la préfecture qui ment.

A Paris, les arrestations arbitraires, les matraquages sauvages, les descentes dans des bars queer précédées de saluts nazis. A Nantes, les agressions sexuelles en commissariat. A Paris, Darmanin qui défend les flics. A Rouen, un pouce arraché. Ailleurs, un œil perdu par un cheminot. Ailleurs, 18 agrafes dans la tête d’un autre. Partout : les nasses, les reconductions au métro par des brutes armées, la peur de l’arrestation, la peur pour les amies en garde à vue, la peur de ceux qui ne donnent pas de nouvelles après 22h : sont-ils aux urgences ou au commissariat ? Quelque part, Tino, 13 ans, se prend une grenade à 1 centimètre de l’œil. Partout, l’inquiétude pour les amis grévistes, les camarades réquisitionnés. Sur les ondes : l’alternance la plus dégueulasse entre mensonge et servilité.

Alors, après les Gilets Jaunes, après les retraites 2019, après tout ça, il vient un moment où il faut chercher un mot pour décrire la force qui nous opprime. Police ? Milice ? Brutes ? On s’y perd en considérations institutionnelles et langagières. Mais là, l’histoire et la symbolique nous aident en nous donnant l’allemand :

Schutzstaffel

En français, « escadron de protection ».

Protection de quoi ?

D’abord : du chef. Espèce de milice minable peuplée d’abrutis fanatisés, leur rôle était de protéger les dignitaires. Que font une quinzaine de camions de CRS à « Savines-Le-Lac » (1100 habitants), sinon protéger Macron ? Que font ceux qui poursuivent une dame ayant écrit « ordure » sur son fil Facebook en parlant de Macron sinon protéger le chef ? Que faisaient ceux que protégeaient l’Élysée en 2018 ? Ils se sont (et nous ont) raconté qu’ils protégeaient les institutions (lesquelles sinon celles du chef ?), mais ils ne protégeaient que le chef. Escadron de protection donc. Schutzstaffel.

Ensuite, d’autre chose : d’elle même. A mesure de sa montée en puissance, la Schutzstaffel s’est autonomisée, politisée. Elle a récupéré du pouvoir, des moyens. Parallèle à faire avec les syndicats de police manifestant devant l’assemblée nationale, disant ouvertement que « l’ennemi de la police, c’est la justice », que la constitution est un problème, etc. Syndicats qui n’ont qu’à lever le petit doigt pour que leur régime spécial soit sauvé. En 2019 comme en 2023. Syndicats qui réclament des milliards et les ont dans l’heure. Demanderaient-ils 100% d’augmentation qu’ils l’auraient dans la journée. Qu’elles sont belles les voitures des flics quand les universités tombent en ruine ! Qu’ils sont beaux ces blindés Centaure quand les hôpitaux entassent les patients sur des brancards ! Et on rappelle que la France compte plus de flic par habitant que la RDA des années 60 ! Mais il en faut encore plus ! Qu’on les recrute à 4 au concours, si 6 ne suffit plus. Ça fera plus de brutes serviles dans la Schutzstaffel.

Enfin, d’encore autre chose.

L’ami Frédéric Lordon, dans son dernier blog, parle d’affrontement. Dieu! qu’il a raison. Comme toujours. Car en ce moment c’est là que nous en sommes : l’affrontement entre « les civilisés de la barbarie et les barbares de la civilisation ». Et cet affrontement ne fait que (re)commencer, cette fois avec des contraintes physiques qui le rendent mortel pour tous si les mauvais gagnent.

Aujourd’hui, il se joue d’abord sur la question des retraites, qui fédère l’opinion. Mais il en va de la santé, de la vie, de l’ensemble du corps social (mais surtout de la classe ouvrière), condamné par le chef à servir deux ans de plus simplement parce que le chef veut montrer qu’il en a une grosse. La classe ouvrière, puis les étudiants, puis tout un tas de gens, ont très vite compris et développé qu’il ne s’agissait pas que de ça mais qu’en fait le c’était le vase tout entier qui était en train de tomber de la table. Il en va des hôpitaux, des étudiants, du travail en général, du climat, des bassines, de l’écosystème, et l’école, de TOUT en fait.

Et que fait leur schutzstaffel ? Réprimer, indifféremment. Protéger le chef. Pousser ses intérêts propres.
Que fait le chef ? Se cacher, faire réprimer, cracher sur ceux qui ne sont rien (tous).

Il y a quatre ans, j’écrivais un blog à propos de la précédente réforme des retraites. J’avais déjà peur que face à la surdité du pouvoir, la tentation de l’action directe devienne plus qu’un délire de fin de soirée. Nous y allons tout droit.

La question climatique, celle de l’écosystème, ce ne sont pas des questions politiques comme les autres. Il s’agit des conditions de vie de mes enfants. Des vôtres. Des leurs. Je ne veux pas vieillir et mourir sans me dire que j’aurai tout fait pour leur éviter ce que le capital pétrolier leur prépare: un fascisme à +5 degrés. Je veux pouvoir les regarder en leur disant que j’ai essayé. Idéalement être fier d’avoir gagné. DONC, j’agis. A ma mesure. En écrivant, en militant, en manifestant, en donnant de l’argent, en allant sur des piquets comme au Havre ou Ivry.

Certains, comme à Sainte-Soline, agissent dans des proportions supérieures. D’autres ailleurs encore.

Mais quand la schutzstaffel leur réserve ce traitement, quelle option reste-t-il ? Quand elle massacre des étudiants, des syndicalistes, des passants, des touristes, des mineurs ? Quand le pouvoir affiche une telle violence, un tel mépris pour celles et ceux qui luttent pour leurs gamins, pour les gamins qui luttent pour eux et les leurs, pour tous les gens qui luttent pour la vie, que reste-t-il ?

Il ne reste que l’action directe. Nul doute qu’elle viendra, et vite. « Vengeance pour S. », ai-je lu sur un mur lors de la manifestation du 28 mars. Il faut dire qu’en l’absence de justice (trop occupée à mettre -macronordure- en prison), il ne reste que la vengeance. Face à tout ça, des gens vont basculer dans la clandestinité et passer à l’action violente. La vraie. Sabotages et pannes devraient venir vite. A titre personnel, si je n’avais pas mes enfants pour m’en empêcher, la tentation serait grande. Des néo brigades rouges.

Mais l’affrontement implique deux camps, celui de la vie (nous) et celui de la mort : le capital, ses intérêts et sa schutzstaffel. Des brigades brunes risquent bien de voir le jour. A vrai dire elles existent déjà, elles. Et elles tuent. Le pouvoir va s’enfermer dans la radicalité et la répression. Il en dépendra toujours plus de sa schutzstaffel qui ne manquera pas d’en tirer toujours plus d’avantages financiers et politiques. Il dépendra des milices secondaires en leur laissant passer quelques « errements ». C’est exactement ce qu’il s’est déjà passé. (la schutzstaffel était bien vue de la police de Weimar, ils s’habillaient bien). C’est exactement ce qui est déjà en train de se passer.

Au milieu de tout cela, d’un peuple majoritairement révolutionnaire, de bandes armées officielles ou non réprimant les militants, la bourgeoise centriste ne pourra que glisser vers le pire. Elle ne sait faire que ça. Son tas de fric est si important. Sa place sociale si méritée. Ces ouvriers si vulgaires. Comme celle des damnés, elle finira nazie.

Mais peut être, si nous sommes assez forts, si nous savons nous organiser, nous fédérer, et vaincre, finira-t-elle seulement dans les poubelles. Peut être que la schutzstaffel finira au GOULAG avec le chef. Peut être que le travail sera libéré. La vie sauvée. Nos enfants fiers de nous. Il suffit pour cela de nous donner corps et âme aux soulèvements, aux grévistes, à tous ceux qui montrent le chemin aux timides et se tiennent debout !

Jean-Jacques s’endort, S. est dans le coma

Ce soir, Jean-Jacques est fatigué.

Il est 19h30 quand il rentre enfin du bureau.

Il a dû gérer beaucoup de choses.

Il a 70 ans.

Il gère trois entreprises.

Et si ce n’était que ça.

Derrière ces sociétés, il y a des filiales dont il faut contrôler les dirigeants, piloter la stratégie, gérer les synergies. Une bonne dizaine d’entreprises qui dépendent de lui. Dont il est le capitaine, le maître. Presque le papa, lui disent ses enfants.

Car il y a ça aussi à gérer : transmettre à ses enfants ce patrimoine bâti au fil des décennies. Éviter les impôts de succession. D’ailleurs, le rendez-vous chez le notaire ? Est-ce ce mardi ou le prochain ?

Jean-Jacques demandera à sa secrétaire. Il n’a pas le temps. D’ailleurs il n’est pas très content de cette secrétaire.

Jean-Jacques pose sa veste dans l’entrée de sa maison blanche. Il en est fier de sa maison. Elle est bien placée. C’est important l’emplacement en immobilier. Il se souvient des trois règles de l’immobilier : « l’emplacement, l’emplacement, l’emplacement ». Il n’a pas failli.

Jean-Jacques fait la bise à sa femme. Jean-Jacques congédie la bonne et la remercie chaleureusement.

Elle a préparé des tripes. Son plat préféré. Sa femme déteste mais c’est lui qui paye. D’ailleurs c’est lui qui paye pour tout. Les études des enfants, les vacances, l’appartement à Biarritz.

Jean-Jacques va s’ouvrir un bon vin.

Ce soir, il s’agit de célébrer !

Gérald lui a envoyé une nouvelle commande. Des grenades. Elles marchent si bien. Mais encore des soucis : il va falloir augmenter les cadences de production (les 5×8 peut être ? il demandera à son avocat en droit du travail et à son consultant). En tout cas c’est clair, les ouvriers vont râler. Pas question d’embaucher, impossible de trouver du personnel qualifié. Peut être l’intérim ?

Jean-Jacques réfléchit. Puis dévore ses tripes.

Qu’elles sont bonnes ces tripes ! Son plaisir coupable. Quand il va au restaurant avec des clients, il va au plazza, il ne peut pas commander ce genre de choses.

Les tripes font du bruit dans la bouche de Jean-Jacques. Il n’a jamais réussi à fermer la bouche quand il en mâche. C’est si bon !

A la fin du repas, Jean-Jacques souhaite une bonne nuit à sa femme. Il doit réfléchir. Encore.

Il se sert un armagnac. Sors un cigare. Va sur sa terrasse.

Il s’allonge dans un fauteuil. A l’abri de la pergola.

Il allume le cigare et goûte à l’armagnac. Il les a bien mérités.

Il se dit qu’à 70 ans, il travaille encore. 10 heures par jour. Y compris le samedi. Car Jean-Jacques est un bon chrétien. Le dimanche il va à la messe.

Il pense à tous ces troubles. Tous ces jeunes gens qui pensent déjà à leur retraite. Qui demandent 60 ans. Lui, Jean-Jacques, ça le désespère la retraite. Il voudrait travailler jusqu’à 90 ans.

Il a entendu parler de Sainte Soline. Un type s’est pris une grenade. Une des siennes. Il est entre la vie et la mort.

Jean-Jacques pense à ses affaires.

Jean-Jacques réfléchit, à la troisième gorgée d’armagnac, à comment la période sera favorable à ses affaires.

Jean-Jacques est un homme occupé, un chef d’entreprise, un créateur d’emploi. Jean-Jacques n’a pas le temps. Demain il faudra aller au bureau. Négocier les prix avec Gérald. Encore des grenades. Elles marchent si bien.

Jean-Jacques va au lit. Il ne faudra pas réveiller sa femme.

Jean-Jacques se souvient du goût des tripes.

Jean-Jacques s’endort. S. est dans le coma.

De la rage à la joie

Les choses vont vite en ce moment, assurément, trop pour qu’on suive, souvent. C’est une des caractéristiques des – potentiels – moments historiques. Qui a vu venir la décapitation au couteau du gouverneur de la Bastille ? Qui a vu venir les Gilets Jaunes ? Seulement des menteurs. Les choses se précipitent à toute vitesse quand en réalité elles sont déjà finies. Chateaubriand (pas vraiment un fameux gauchiste), disait déjà, « en 1789, la Révolution était déjà finie ». Le conventionnel des Misérables disait : « 93 ! J’attendais ce mot-là. Un nuage s’est formé pendant quinze cents ans. Au bout de quinze siècles, il a crevé. Vous faites le procès au coup de tonnerre. »
Voilà, peut-être, un coup de tonnerre. A coup sûr un phénomène électromagnétique

On se rassure en haut. Tout va bien. Mais ça c’est seulement tout en haut. Parce que même chez France Info, ça tremble. Ca documente les « violences policières » (inimaginable pendant les Gilets Jaunes, sans parler de 2005 ou d’avant). Comme toujours, les civilisés barbares (encore Victor), tremblent du genou et ne savent pas encore à quel point de violence il leur faudra pousser pour conserver leurs acquis. Des membres de prolétaires ? S’assoir sur la constitution ? Sans doute. Mitrailleuse ? Ils l’ont déjà fait (en 1871), ils le referont sans sourciller quand le temps viendra. Ils trouveront sans nul doute les ressources de faire ce qu’ils ont déjà fait. Thermidor, Commune, Chili, Nicaragua, etc.
Alors et nous ?
Chez nous, la rage est en train d’exploser, comme si l’on on nous privait d’une chose naturelle. Il faut que ça sorte, certes, mais déjà on sent l’ailleurs, la joie de l’abandon des structures oppressives

La pertinence d’un mouvement se mesure à la violence de la réaction du pouvoir.
C’est une maxime que j’ai coutume de sortir depuis les Gilets Jaunes. A l’époque, quelle violence ! Pendant les retraites 2019, quelle violence ! A cette aune, il est évident que le mouvement en cours est des plus pertinent. Marin pécheur ruisselant de sang, arrestations arbitraires, garde à vue prolongées, touristes nassés, SDF traité de « sac à merde », « ramasse tes couilles enculé » (lancé par un « ouvrier de la sécurité »), lacrymos dans le métro, matraques sur des jeunes gens, roues de motos sur des jambes d’étudiants, tortures sexistes à base de « doigts dans la chatte », etc. La pertinence est claire. On aura du mal à être plus pertinents.

La puissance de ce mouvement se mesure à sa créativité.
Autre maxime que j’ai forgée à l’époque. Eh bien à nouveau on y est. Tout le monde en grève, sabotages, tracteurs anti canon à eau, pose silencieuse du ballet de lyon, manitou à barricades, manifs sauvages, blocages, éboueurs, tout qui crame… Beaucoup de choses apparaissent, qu’on aurait pu imaginer, voire qu’on a déjà vues, mais avec une ardeur nouvelle. Et tant de neuf ! Quand est-ce qu’on a vu les étudiants avec les éboueurs ? Les syndicalistes de l’énergie avec les étudiants ? Les « bougnoules » et les « bamboulas » avec les « blancos » ? (Dédicace à Valls et Ndiaye) Les musulmans avec les cathos et les athées ? (dédicace haria) Jamais puisque jamais l’histoire ne se reproduit et qu’elle est ontologiquement « neuve ». Le social est une chose mouvante, les formes révolutionnaires aussi. 1789, la commune, 1917 ne reviendront pas. Autre chose viendra. Et vient peut-être.

Y en-a-t-il qui ne sont pas là ? Je ne compte pas mais j’ai vu tout le monde. Des lycéennes voilées de noir, des ouvriers, des ingénieurs, des profs, des chômeurs, des étudiants, des chercheurs, tout le monde est là sinon les barbares du 7ème arrondissement. Tout le monde est là sauf les ignobles bourgeois versaillais, prêts à trahir pour garder leur petit tas de fric dégueulasse, sauf les femmes dégueulasses de ces bourgeois dégueulasses. En 1912, Rosa Luxemburg disait « Et en 1871, à Paris, lorsque la Commune héroïque des travailleurs a été défaite par les mitrailleuses, les femmes bourgeoises déchaînées ont dépassé en bestialité leurs hommes dans leur revanche sanglante contre le prolétariat vaincu. ». Pas plus tard qu’hier, ce genre de personne disait aux flics « noyez les, tuez-les, jetez les dans la Seine ». Répétition, non pas de l’histoire, mais des structures sociales.

Partout ça bouge, partout. C’est maintenant qu’il faut agir. Fin du mois, fin de carrière, fin du monde. Tout à la même cause : ces bourgeois barbares prêts à faire brûler le monde pour vivre deux ans de plus en croisière Costa ou ces raclures pleines de fric qui tiennent à leur yacht. Prêts à faire fusiller pour profiter de leur retraite, de leur loyer, de leur rente. Nous ne voulons pas de ça. Nous voulons la liberté, l’égalité, la fraternité.

On me reproche parfois l’utilisation de ces magnifiques mots. Pourtant qu’ils sont beaux ! Quelle liberté sans égalité ? Quelle égalité sans fraternité ? Fraternité entendue au sens immense qu’on peut lui donner : internationalisme, solidarité, communauté, autonomie. Fraternité avec les peuples libres ! Partout on veut des LIP. De la grève générale, de la reprise en main de l’outil de production. Partout il faut sortir de l’asservissement du capital. Pourtant seuls ici on ne pourra pas. Parce qu’on pourra renverser tout ce qu’on voudra ici, si nous sommes tout seuls, nous tiendrons peu. Alors camarades marocains, chiliens, ivoiriens, etc : nous essayons un peu, vous essayez aussi. Il faut nous soutenir face aux empires, aux tyrannies, à l’empire du capital. Vivement demain !

Pour finir : quel sens à l’acrostiche ? Il me fallait un mot avec deux L. Et un joli mot. Et j’ai deux enfants petits qui adorent les sucettes. La révolution, finalement, ce sont des grands yeux dans lesquels on se noie. Une sucette au miel que papa ne donne jamais et qui finit trop vite. Le pouvoir, c’est le gros porc vendeur d’enfants de Pinocchio, c’est l’ordure de renard menteur. Sa tentative et son espoir, c’est la naïveté d’une petite créature en bois qui a bien besoin de son criquet. L’île aux enfants où l’on se perd, c’est le pandemonium. Pinocchio, c’est nous, tout mignons, crédules et gentils.
Et Gepetto lui, n’existe pas.
Les sucettes, elles, existent ! C’est le bonheur qu’on attend pour le dimanche quand on a 5 ans. Donnons-nous la nôtre.
Nous sommes bientôt maitres.
Devenons de vrais petits garçons.
De la rage, faisons de la joie.

Il est temps de goûter
Au délicat goût sucré de la liberté

GOULAG ou barbarie : TINA

Évidemment, le titre est une provocation. Est-il besoin de le dire ? Et pourtant…

Le monde court à sa perte par l’effondrement de l’écosystème dû à l’avidité sans limite du capital. Et pourtant, ce qu’il reste de forces démocrates se fait rouler dessus. Et pourtant les désobéissants finissent en garde à vue. Et pourtant les zadistes sont des « khmer verts », sinon des « écoterroristes ». Et pourtant l’assemblée doit se tenir sage.

Nous savons déjà que nous allons souffrir, que nos enfants souffriront encore bien plus, et peut être même qu’à plus 4 degrés, leurs conditions d’existence seront sérieusement remises en question.

Partout les signaux se multiplient : mortalité infantile, incendies, sécheresses, morts sur des brancards, mortalité maternelle, montée du fascisme… Tout partout, tout le temps, nous indique que ce monde va vite devenir intenable.

Il se trouve qu’aujourd’hui il se passe quelque chose. Une lutte sociale contre la démolition des retraites. Il se trouve que ça bouge. Et ça tremble aussi : et si on perdait ? C’en serait 10 ans de massacre. Mais si on gagnait ? Pourrait on pousser plus loin qu’une simple lutte sectorielle ou technique ? Pourrait-on transformer ça en mouvement plus large, ce que ni 36 ni 68 n’ont réussi à faire ? Je ne suis pas oracle et d’ailleurs personne ne l’est, au moins à court terme. Les gens qui « ont vu venir les gilets jaunes » sont des menteurs. Les choses de cet ordre surgissent. Elles sont préparées, certes, encouragées, évidemment, mais personne ne peut jamais savoir quand elles vont advenir. La lutte sociale en cours doit occuper toute notre énergie, même s’il ne s’agit que de « pas grand chose ». Évidemment, garder 60 ou 64 ans, ce n’est pas la révolution communiste. Évidemment, on est loin du salaire à vie. Évidemment. Mais pour tous ceux qui devraient en mourir au travail, ne pas en voir leurs petits enfants, s’en casser le dos 4 ans de plus, c’est TOUT.

Il se trouve qu’aujourd’hui, là haut, ça tremble aussi. Et s’ils gagnaient ? Et s’ils réussissaient à s’unir, à se parler, à réoccuper les rond points, à faire un truc nouveau ? Et s’ils faisaient vraiment une grève générale ? Ils en chient dans leurs slip.

Mais voilà ce qui s’abat sur les députés macronistes avant même le vote : le vote ou l’exil, leur dit-on. Explicitement : votez ou soyez chassés du groupe. Ceci étant dit, Macron étant ce qu’il est (je ne m’étends pas), on comprend que tant que l’Élysée ne sera pas entouré de rivières de feu, la réforme ne sera pas retirée. Parce que tout en haut, la raison a quitté le boite crânienne. Si des députés peuvent être sensibles à leur carrière ou a des restes de vagues convictions, là haut, foin de tout cela : il faut que ça passe. Et tous ces gens dépendent de là haut. Sans cela, ils ne sont rien.

Où tout cela nous amène ? Vers toujours plus de folie. L’alternative est simple : soit on gagne, et vite, soit ils gagnent, et pour longtemps.

Alors il nous faut envisager les deux cas.

Dans l’hypothèse d’une victoire du capital, nous perdrons dix ans, une éternité. Le monde du travail sera ravagé, il sera très difficile de faire renaître des choses solides après une telle humiliation. C’est là dessus que joue le pouvoir et c’est là dessus qu’il faut se battre dans répis. Le capital se sentant des ailes, c’en sera fini de tant de choses et le toboggan vers la barbarie sociale et capitaliste déchaînée : la guerre peut être, le fascisme à coup sûr, l’effondrement de l’écosystème certainement.

Dans l’hypothèse d’une victoire sociale, écologiste, féministe et tout ce qu’on voudra, il faudra gérer l’adversité. Intérêt général a récemment publié une note sur le sujet : faire sauter les verrous. Si bonne que soit cette note, si bons que soient tous les scenarii d’une « gauche » au gouvernement, je crois qu’ils sous estiment deux choses : l’esprit de revanche du camp du travail et le désir infini des dominants de garder le pouvoir.

Dans cette seconde hypothèse désirable, il faudra tenir ces deux forces à distance. Et c’est là qu’il est temps, constatant que le goulag percole plus loin que mon cercle twitter, de préciser ce que j’entends par là.

Le GOULAG, nom choisi à dessein pour provoquer, écrit en majuscules pour se distinguer de l’horreur de la Kolyma, consiste à contenir précisément la violence de revanche sociale en la canalisant et la violence du capital en la pénalisant. Pas plus tard qu’hier, les raffineurs de grandspuits on reçu une lettre leur annonçant que face à la grève, Total n’investirait plus dans les énergies renouvelables. La grève de l’investissement est une action que sait très bien mener le capital et qu’il mènera sans sourciller pour préserver sa rente même si nous cramons tous. Que faire d’autre des ces gens, le jour de la révolution, que les empêcher de nuire ?

Il faut les chasser, et vite, leur enlever tout moyen, mais aussi les préserver de ceux qui voudraient leur couper la tête au couteau, comme lors de la prise de la bastille. Évidemment ce ne serait pas les raffineurs eux mêmes qui auront trop envie de reprendre leur outil de production et de le faire tourner pour le bien. Ce serait la violence enfin déchaînée de certains, nombreux, qui n’en peuvent plus et qui viendront.

Le GOULAG, c’est donc garantir au peuple déchaîné que oui, les coupables payent mais que l’on reste dans un humanisme intégral.

Personne n’y souffrirait du froid, de la faim ou de la maladie. Les détenus pourraient voir leur famille. Ils pourraient y lire, travailler, prier, mais privés de tout pouvoir de nuisance le temps qu’un nouvel ordre s’installe. Pas de contre révolution blanche. Pas de grève de l’investissement. Pas de recrutement de milices. Pas d’alliance avec l’étranger. Là bas on sera protégés de vous et vous de certains d’entre nous.

Ma profonde conviction est que l’alternative est devant nous : communisme ou barbarie. Mais que l’hypothèse communiste n’exclut pas une période de transition dans laquelle trop de passions se déchaîneraient dans la violence auxquelles il faut donner une sortie. Le GOULAG, moyen de réinsertion des fous qui nous gouvernent. Moyen de leur faire goûter le travail, la fatigue physique, les copeaux qui brûlent, les fumées qui puent, mais aussi la solidarité. Voir Basta! capital.

Sans cela, sans un GOULAG humaniste, c’est à dire un moyen de temporairement mettre à distance les nuisibles d’aujourd’hui avant de les réinsérer, le risque de barbarie révolutionnaire est fort. Or la barbarie révolutionnaire implique une égale barbarie contre révolutionnaire. Et souvent la barbarie contre révolutionnaire gagne. Et impose ensuite son récit.

Le temps nous est compté. Il faut une révolution écologiste et humaniste. Et vite.
Paradoxalement, cela suppose des GOULAG. Paradoxalement, le GOULAGisme est un humanisme.

HORS CAPITAL

Le capitalisme, régime hégémonique, impose son rapport social, sa langue, ses propres discussions. On ne peut plus se contenter de répliquer dans le cadre, il faut en sortir et mettre d’une part un grand coup de raquette dans la machine à balles, d’autre par refuser sa dialectique.

Prenons quelques « débats » récents. Tous ont montré les mêmes choses : l’hégémonie du capital, la servilité des gouvernants, celle des media, et surtout notre propre faiblesse.

Des comptes twitter et Instagram se sont mis à relater les jolies aventures carbonées de nos chers milliardaires. La « gauche », sitôt le mouvement pris, s’est empressée de demander leur interdiction. Ce qui a fait réagir ceux qui nous demandent de pisser sous la douche : ce genre de petit geste ne sert à rien. Et les media de relayer cette polémique stérile. En effet, ces petits gestes ne servent à rien. Pisser sous la douche, interdire les jets, c’est comme économiser le blé ou interdire les carrosses en 1789. Ça ne sert à rien.

Ce qu’il faut interdire, c’est le régime social qui permet ce genre de choses. Ce qu’il faut interdire, ce ne sont pas les jets, ce sont les riches, et plus largement les structures (imposées par eux) qui permettent leur régime d’accaparation. Poser proprement la question des jets commencerait par poser la question de « pourquoi les jets ». Mais cette démarche intellectuelle triviale semble absente.

De même en est-il des superprofits. C’est quoi un « superprofit » ? Bruno Lemaire et Geoffroy Roux de Bézieux, dont on sait tout le bien que je pense d’eux, posent utilement la question et nous ramènent à la raison. Est-ce du taux de marge ? Du bénéfice par action ? Une quantité de bénéfice net ? Bruno Lemaire explicite cette pensée limpide : « les entreprises font du profit ». Eh bien oui, elles font du profit.

Alors, même dans la pensée la plus social-démocrate du monde, il reste deux sortes de profits : les illégitimes qu’il faut saisir et les légitimes. Dans la première rentrent les profiteurs de guerre. Dans la deuxième, on ne sait pas. Cette frontière est aussi difficile à définir que celle séparant « superprofits » de « profits ». La réalité c’est que tous les « profits » sont une prédation et tous les actionnaires des prédateurs.

A quoi servent ces gens, gros actionnaires assis sur leur cul à envoyer des mails à leur banque d’affaire, petits actionnaires profitant du système en laissant leur banque se gaver de commission ? A quoi servent tous ces intermédiaires, ces salariés, sinon à perpétuer un régime d’exploitation d’une nature jamais vue dans l’histoire ?

Les petits actionnaires sont au 21ème siècle (mais à la puissance 10) ce que les meuniers étaient au 15ème : un seigneur leur accorde un droit d’exploitation en échange d’une rente et d’une classe intermédiaire assurant la paix sociale. Les grands actionnaires sont les nouveaux seigneurs. Les banques n’ont, elles, pas changé de nature : des instruments au service unique des puissants.

Quand on se laisse enfermer dans le débat des « superprofits », dans celui des « jets privés », on en oublie le régime qui les permet et garantit la destruction de l’écosystème : le capitalisme. Ce ne sont pas les jets qui détruisent le climat : ce sont les gens à l’intérieur. Ce ne sont pas les superprofits qui sont scandaleux, c’est la prédation actionnariale, la prédation capitaliste.

Comme l’a montré magnifiquement l’œuvre de Sandra Lucbert, la domination capitaliste s’étend jusqu’à la langue. Celle-ci est façonnée par les dominants qui s’en servent pour imposer leur façon de penser, leur cadre. Il est aujourd’hui infiniment difficile d’expliquer que le capitalisme est une prédation alors que c’est une évidence : la faute à la langue, aux flics, aux procureurs, aux juges, aux media. La faute à tout le système de ruissellement qui rémunère la servilité. Soyez servile, vous aurez tribune, vous aurez promotion, vous aurez prix.

C’est de cela qu’il faut se débarrasser, parce que c’est cela qui nous conduit (et l’écosystème avec nous) à notre perte. Les jets ne volent pas pour eux même. Ils volent au service d’autres. Les superprofits ne se font pas pour eux-mêmes, ils se font au service d’autres. De gens qui profitent de la guerre, des sécheresses, des inondations, des pénuries. Tant que ce système perdurera, des gens profiteront de ses crises. Tant que ce système perdurera, il nous imposera ses « débats » vides de politique, son « art » dépolitisé, sa science-économique-vérité.

Il faut en sortir, il faut se mettre à penser « hors capital », refuser la stérilité de leur idéologie, refuser leur domination, leur façon de jouer avec nous.

Il faut les chasser.

Xavier Bertrand a raison

Comme Nicolas Sarkozy avant lui, Xavier Bertrand souhaite que le travail paye mieux. Il a ainsi repris à son compte une vieille proposition : faire converger le salaire brut et le salaire net en réduisant les « charges ». Évidemment, tous les gauchistes lui tombent dessus. Funeste erreur ! Dans un contexte inflationniste, on ne peut que se féliciter de le voir se préoccuper du niveau des salaires. Qui peut aller contre cette idée ? Pas moi en tout cas. J’irai même presque jusqu’à dire qu’il a raison. Malheureusement, il n’a pas poussé l’idée assez loin.

Essayons de pousser la proposition au bout, en étant aussi « sérieux » que possible. Il s’agit de s’assurer que les travailleurs reçoivent 100 % du produit de leur travail. On supprime donc complètement les « charges » salariales et patronales et on verse tout aux salariés. Tant qu’à faire, on verse également la plus-value, en reprenant l’idée de « dividende salarié », qu’on mène également au bout : tous les bénéfices sont versés aux salariés.

On aurait, sans nul doute, un sacré « choc de pouvoir d’achat ».

Toutefois, il faudrait bien que les salariés disposent d’une protection maladie, d’une assurance perte d’emploi, et d’une assurance retraite. Là aussi, la droite ne manque pas d’idées : il suffit d’imposer une mutuelle, une assurance emploi et un plan épargne retraite obligatoires. Rien de plus simple, c’est déjà fait pour la mutuelle et pas bien compliqué à mettre en place pour les retraites.

C’est là qu’intervient la science des assureurs. Afin d’assurer la stabilité et la pérennité du système, il faut que ces fonds assurantiels aient la plus grande surface possible. Pourquoi pas l’ensemble des salariés du public comme du privé ? Ainsi, on pourrait avoir un seul acteur de l’assurance santé, un seul pour l’assurance chômage un seul pour l’assurance retraite. Les synergies entre ces différents opérateurs devraient dégager de significatives marges de manœuvre financières, notamment du fait de la mutualisation des frais de gestion et de la rationalisation des offres.

On aurait toutefois un écueil à surmonter. Ce grand assureur du risque social (appelons le « sécurité sociale ») serait en situation de monopole. Le préambule de la constitution de 1946 nous imposerait alors de le nationaliser. Pourquoi pas, mais serait-ce bien responsable de faire porter à l’État l’intégralité du risque, au moment où il est déjà si endetté ? Et puis c’est connu, l’État est un piètre gestionnaire.

On ferait mieux de l’organiser sur un modèle mutualiste, où les « cotisants » seraient eux-mêmes en charge de la gestion de leur propre fonds assurantiel. Il s’assureraient que « leur argent » est géré comme il l’entendent en décidant des montants appropriés de cotisation et du niveau des prestations.

Encore quelques points de détail. En distribuant l’intégralité du bénéfice en dividende salarié on tarit la source de toute vie économique : l’investissement capitaliste. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit d’imposer une cotisation investissement. Une part du salaire serait prélevée à la source et reversée à un grand fonds d’investissement. Même raisonnement que pour l’assurance, il faudrait malheureusement nationaliser ce fonds en situation de monopole (qui capterait l’intégralité des fonds disponibles pour investissement). Et, même chose encore, on préférerait plutôt un modèle en autogestion afin d’éviter que l’État ne fasse n’importe quoi avec l’argent des travailleurs, comme il en a la fâcheuse habitude.

Ainsi, en poussant l’idée de Xavier Bertrand au bout, on disposerait d’une grande caisse couvrant le chômage, la retraite et la santé, en auto-gestion qu’on appellerait la « sécurité sociale ». On aurait également un grands fonds d’investissement public en autogestion. Finalement, Xavier Bertrand est d’accord avec Bernard Friot. Surprenant.

Démocratie, vraiment ?

L’autre soir, j’étais en soirée avec de vieux amis. Le genre de vieux amis avec qui je voulais boire des bières, faire des flipper, parler du bon vieux temps, mais surtout pas parler politique.

Et pourtant c’est arrivé, comme un coup de mitraille : j’aime bien ce que tu fais, mais « je suis attaché à la démocratie ».

C’est vrai que moi, non. J’ai beau l’écrire partout et le dire en permanence, je ne suis pas-attaché-à-la-démocratie. Non. Je suis plutôt attaché à la revendication violente, aux exactions de syndicalistes au couteau entre les dents ou de gilets jaunes bêtes féroces dont le but est d’abattre notre si belle constitution.

La même semaine, j’ai lu le bouquin de Sandra Lucbert « le ministère des contes publics ». A vrai dire je l’avais à peine fini dans le RER qu’on m’assenait déjà le coup de la « démocratie ». Quelle leçon, et quelle incarnation pour le bouquin et son concept de PFLB (Pour Faire Le Bourgeois) ! Deux heures auront séparé ma rencontre du concept et ma rencontre de sa réalité.

Dans ce bouquin, qui vaudrait un éloge plus long que lui-même, Sandra Lucbert détaille comme le discours des capitalistes percole dans toute la société, verticalement et horizontalement, en véritable hégémonie à la Gramsci. On laisse mourir des bébés ? On fait ce qu’on peut (c’est-à-dire ce qu’ils veulent), mais bon il y a des trous dans la raquette, et des bébés meurent. Que voulez-vous ?

Tout en devient fou à cette mesure. La Dette ? Cette chose n’a plus de réalité. Elle existe en soi. Et son montant en soi. Et sa gravité en soi. Bien peu importe la réalité. Tout le monde en répétera la gravité, jusqu’à en vomir, jusqu’à en faire vomir, pourvu qu’on reste dans le PFLB.

La Démocratie ? Elle existe. Elle est là. Voilà. Puisqu’on vous le dit. Et qu’on vous dit que la Dette c’est grave. Des choses existent : la démocratie. D’autres sont graves : la Dette. Aller contre tout ça, c’est aller contre le bien-suprème : réduire la Dette et conserver la sainte-démocratie.

Vers 1995, la Dette était à 60 %, et les échos titraient déjà sur la gravité du problème en nous promettant des pluies de grenouilles. Vers 2005 : 80 %. Et on nous rappelait les grenouilles auxquelles nous avions échappé (merci les gouvernants) pour nous dire que cette fois, on y était. Vers 2015, 100 %. Cette fois, ça serait la bonne : pas de grenouilles mais des rivières de sang. 2021 : 120 %. Cette fois ON VOUS A SAUVES ! Et puis l’immédiat corollaire : IL FAUDRA PAYER ! Sous-entendu : bosser jusqu’à 67 ans, c’est à dire 10 ans de plus que l’espérance de vie des égoutiers.

Tout cela est absurde mais nous ramène à la DÉMOCRATIE. Elle existe. Et même que certains, parmi les plus éduqués, y sont attachés. Réduire la dette, c’est une question dé-mo-cra-ti-que. Si on le ne le fait pas, nos enfants paieront (à qui ? Oulala. Pourquoi ? Oulala — ces questions ne se posent pas en PFLB; il faudra bien payer, puisqu’il le faut).

Alors j’ai beau dire que la DÉMOCRATIE m’a fait peur pendant deux ans. Peur physique (des lacrymos, des matraques, des grenades – dont j’ai toujours su me tenir éloigné), peur légale (un bisou chaleureux à Eric Labaye), peur para-légale (quand mon téléphone supprimait des contacts gilets jaunes en 2019, ou qu’il mettait si longtemps à établir une connexion, ou qu’il grésillait juste assez pour le me faire sentir avec ces personnes pendant qu’il ne le faisait pas avec d’autres). J’ai beau dire tout ça, parler des arrestations illégales (dont des amis), rien n’y fait : la DÉMOCRATIE est là.

J’ai beau dire qu’il n’y a pas de contre pouvoir : assemblée croupion, journaux caporalisés ou réduits à l’extrême faiblesse (que les Pandora Papers font un bel exemple), justice aux ordres quand il faut ou impuissante quand il ne faudrait pas : rien n’y fait : la DÉMOCRATIE, j’y suis attaché.

La réalité a beau être là : des yeux crevés, des mains arrachées, des décisions en conseil de défense, des volontés de sortir les politiques du droit pénal, des mensonges d’arracheurs de dents (ne bougez pas, avec un bras en moins – ou un bébé mort – vous aurez moins de Dette), rien n’y fait : la DÉMOCRATIE.

Mais la force du PFLB, ou de l’hégémonie bourgeoise (ou capitaliste), c’est précisément qu’elle est hégémonique. Alors tout le monde court derrière et répète, ou plutôt ahane (mais sans la peine), que la Dette c’est mal, et que la DÉMOCRATIE c’est bien.

Personne, jamais personne, ni sur les plateaux, ni dans l’immense jeu du PFLB pour dire que la DÉMOCRATIE, précisément, n’existe pas. Oh non. C’est un concept dont on se rengorge et qu’on dégueule en dîner, mais sans jamais savoir ce qu’il recouvre de responsabilité ou de difficulté. Castoriadis disait : « se reposer ou être libre ». Le PFLB se repose. Le PFLB dégueule sa bien-pensance ramollie à ceux qui ont le tort de ne pas se reposer. Mais repose toi, enfin ! Arrête tout ! On tient à toi. Te soutenir ? Se battre pour une cause ? Oh non, ce serait fatiguant. Et tous ces gens sont profs (qui se font massacrer dans leurs conditions de travail et leur salaire), flics (idem), consultants, ou n’importe quoi. Ils se font tous massacrer, mais ils se reposent.

Macron se repose, lui, et tout le monde se repose en l’entendant dire hier soir : « C’est très dur dans une démocratie de dire aux gens : on va vous enlever des droits massivement. ». C’est si honnête pourtant. Cette phrase contient toute la merde du monde contemporain à elle seule. Elle contient l’alternative posée à nos gouvernants : la démocratie ou autre chose. Parce que vous comprenez, qu’est ce que c’est dur d’appauvrir les pauvres pour enrichir les riches quand les pauvres doivent être d’accord. Quel effort ! On en a marre. Tout ça à cause de la démocratie.

Le moment va venir où il ne restera plus que les apparences. Macron franchit déjà le mur d’après : les apparences pèsent déjà trop. Laissez les gouvernants se reposer. Laissez les riches être riches et les pauvres êtres pauvres. Laissez les flics massacrer les gens. Toute cette démocratie, ça suffit.