GOULAG ou barbarie : TINA

Évidemment, le titre est une provocation. Est-il besoin de le dire ? Et pourtant…

Le monde court à sa perte par l’effondrement de l’écosystème dû à l’avidité sans limite du capital. Et pourtant, ce qu’il reste de forces démocrates se fait rouler dessus. Et pourtant les désobéissants finissent en garde à vue. Et pourtant les zadistes sont des « khmer verts », sinon des « écoterroristes ». Et pourtant l’assemblée doit se tenir sage.

Nous savons déjà que nous allons souffrir, que nos enfants souffriront encore bien plus, et peut être même qu’à plus 4 degrés, leurs conditions d’existence seront sérieusement remises en question.

Partout les signaux se multiplient : mortalité infantile, incendies, sécheresses, morts sur des brancards, mortalité maternelle, montée du fascisme… Tout partout, tout le temps, nous indique que ce monde va vite devenir intenable.

Il se trouve qu’aujourd’hui il se passe quelque chose. Une lutte sociale contre la démolition des retraites. Il se trouve que ça bouge. Et ça tremble aussi : et si on perdait ? C’en serait 10 ans de massacre. Mais si on gagnait ? Pourrait on pousser plus loin qu’une simple lutte sectorielle ou technique ? Pourrait-on transformer ça en mouvement plus large, ce que ni 36 ni 68 n’ont réussi à faire ? Je ne suis pas oracle et d’ailleurs personne ne l’est, au moins à court terme. Les gens qui « ont vu venir les gilets jaunes » sont des menteurs. Les choses de cet ordre surgissent. Elles sont préparées, certes, encouragées, évidemment, mais personne ne peut jamais savoir quand elles vont advenir. La lutte sociale en cours doit occuper toute notre énergie, même s’il ne s’agit que de « pas grand chose ». Évidemment, garder 60 ou 64 ans, ce n’est pas la révolution communiste. Évidemment, on est loin du salaire à vie. Évidemment. Mais pour tous ceux qui devraient en mourir au travail, ne pas en voir leurs petits enfants, s’en casser le dos 4 ans de plus, c’est TOUT.

Il se trouve qu’aujourd’hui, là haut, ça tremble aussi. Et s’ils gagnaient ? Et s’ils réussissaient à s’unir, à se parler, à réoccuper les rond points, à faire un truc nouveau ? Et s’ils faisaient vraiment une grève générale ? Ils en chient dans leurs slip.

Mais voilà ce qui s’abat sur les députés macronistes avant même le vote : le vote ou l’exil, leur dit-on. Explicitement : votez ou soyez chassés du groupe. Ceci étant dit, Macron étant ce qu’il est (je ne m’étends pas), on comprend que tant que l’Élysée ne sera pas entouré de rivières de feu, la réforme ne sera pas retirée. Parce que tout en haut, la raison a quitté le boite crânienne. Si des députés peuvent être sensibles à leur carrière ou a des restes de vagues convictions, là haut, foin de tout cela : il faut que ça passe. Et tous ces gens dépendent de là haut. Sans cela, ils ne sont rien.

Où tout cela nous amène ? Vers toujours plus de folie. L’alternative est simple : soit on gagne, et vite, soit ils gagnent, et pour longtemps.

Alors il nous faut envisager les deux cas.

Dans l’hypothèse d’une victoire du capital, nous perdrons dix ans, une éternité. Le monde du travail sera ravagé, il sera très difficile de faire renaître des choses solides après une telle humiliation. C’est là dessus que joue le pouvoir et c’est là dessus qu’il faut se battre dans répis. Le capital se sentant des ailes, c’en sera fini de tant de choses et le toboggan vers la barbarie sociale et capitaliste déchaînée : la guerre peut être, le fascisme à coup sûr, l’effondrement de l’écosystème certainement.

Dans l’hypothèse d’une victoire sociale, écologiste, féministe et tout ce qu’on voudra, il faudra gérer l’adversité. Intérêt général a récemment publié une note sur le sujet : faire sauter les verrous. Si bonne que soit cette note, si bons que soient tous les scenarii d’une « gauche » au gouvernement, je crois qu’ils sous estiment deux choses : l’esprit de revanche du camp du travail et le désir infini des dominants de garder le pouvoir.

Dans cette seconde hypothèse désirable, il faudra tenir ces deux forces à distance. Et c’est là qu’il est temps, constatant que le goulag percole plus loin que mon cercle twitter, de préciser ce que j’entends par là.

Le GOULAG, nom choisi à dessein pour provoquer, écrit en majuscules pour se distinguer de l’horreur de la Kolyma, consiste à contenir précisément la violence de revanche sociale en la canalisant et la violence du capital en la pénalisant. Pas plus tard qu’hier, les raffineurs de grandspuits on reçu une lettre leur annonçant que face à la grève, Total n’investirait plus dans les énergies renouvelables. La grève de l’investissement est une action que sait très bien mener le capital et qu’il mènera sans sourciller pour préserver sa rente même si nous cramons tous. Que faire d’autre des ces gens, le jour de la révolution, que les empêcher de nuire ?

Il faut les chasser, et vite, leur enlever tout moyen, mais aussi les préserver de ceux qui voudraient leur couper la tête au couteau, comme lors de la prise de la bastille. Évidemment ce ne serait pas les raffineurs eux mêmes qui auront trop envie de reprendre leur outil de production et de le faire tourner pour le bien. Ce serait la violence enfin déchaînée de certains, nombreux, qui n’en peuvent plus et qui viendront.

Le GOULAG, c’est donc garantir au peuple déchaîné que oui, les coupables payent mais que l’on reste dans un humanisme intégral.

Personne n’y souffrirait du froid, de la faim ou de la maladie. Les détenus pourraient voir leur famille. Ils pourraient y lire, travailler, prier, mais privés de tout pouvoir de nuisance le temps qu’un nouvel ordre s’installe. Pas de contre révolution blanche. Pas de grève de l’investissement. Pas de recrutement de milices. Pas d’alliance avec l’étranger. Là bas on sera protégés de vous et vous de certains d’entre nous.

Ma profonde conviction est que l’alternative est devant nous : communisme ou barbarie. Mais que l’hypothèse communiste n’exclut pas une période de transition dans laquelle trop de passions se déchaîneraient dans la violence auxquelles il faut donner une sortie. Le GOULAG, moyen de réinsertion des fous qui nous gouvernent. Moyen de leur faire goûter le travail, la fatigue physique, les copeaux qui brûlent, les fumées qui puent, mais aussi la solidarité. Voir Basta! capital.

Sans cela, sans un GOULAG humaniste, c’est à dire un moyen de temporairement mettre à distance les nuisibles d’aujourd’hui avant de les réinsérer, le risque de barbarie révolutionnaire est fort. Or la barbarie révolutionnaire implique une égale barbarie contre révolutionnaire. Et souvent la barbarie contre révolutionnaire gagne. Et impose ensuite son récit.

Le temps nous est compté. Il faut une révolution écologiste et humaniste. Et vite.
Paradoxalement, cela suppose des GOULAG. Paradoxalement, le GOULAGisme est un humanisme.

HORS CAPITAL

Le capitalisme, régime hégémonique, impose son rapport social, sa langue, ses propres discussions. On ne peut plus se contenter de répliquer dans le cadre, il faut en sortir et mettre d’une part un grand coup de raquette dans la machine à balles, d’autre par refuser sa dialectique.

Prenons quelques « débats » récents. Tous ont montré les mêmes choses : l’hégémonie du capital, la servilité des gouvernants, celle des media, et surtout notre propre faiblesse.

Des comptes twitter et Instagram se sont mis à relater les jolies aventures carbonées de nos chers milliardaires. La « gauche », sitôt le mouvement pris, s’est empressée de demander leur interdiction. Ce qui a fait réagir ceux qui nous demandent de pisser sous la douche : ce genre de petit geste ne sert à rien. Et les media de relayer cette polémique stérile. En effet, ces petits gestes ne servent à rien. Pisser sous la douche, interdire les jets, c’est comme économiser le blé ou interdire les carrosses en 1789. Ça ne sert à rien.

Ce qu’il faut interdire, c’est le régime social qui permet ce genre de choses. Ce qu’il faut interdire, ce ne sont pas les jets, ce sont les riches, et plus largement les structures (imposées par eux) qui permettent leur régime d’accaparation. Poser proprement la question des jets commencerait par poser la question de « pourquoi les jets ». Mais cette démarche intellectuelle triviale semble absente.

De même en est-il des superprofits. C’est quoi un « superprofit » ? Bruno Lemaire et Geoffroy Roux de Bézieux, dont on sait tout le bien que je pense d’eux, posent utilement la question et nous ramènent à la raison. Est-ce du taux de marge ? Du bénéfice par action ? Une quantité de bénéfice net ? Bruno Lemaire explicite cette pensée limpide : « les entreprises font du profit ». Eh bien oui, elles font du profit.

Alors, même dans la pensée la plus social-démocrate du monde, il reste deux sortes de profits : les illégitimes qu’il faut saisir et les légitimes. Dans la première rentrent les profiteurs de guerre. Dans la deuxième, on ne sait pas. Cette frontière est aussi difficile à définir que celle séparant « superprofits » de « profits ». La réalité c’est que tous les « profits » sont une prédation et tous les actionnaires des prédateurs.

A quoi servent ces gens, gros actionnaires assis sur leur cul à envoyer des mails à leur banque d’affaire, petits actionnaires profitant du système en laissant leur banque se gaver de commission ? A quoi servent tous ces intermédiaires, ces salariés, sinon à perpétuer un régime d’exploitation d’une nature jamais vue dans l’histoire ?

Les petits actionnaires sont au 21ème siècle (mais à la puissance 10) ce que les meuniers étaient au 15ème : un seigneur leur accorde un droit d’exploitation en échange d’une rente et d’une classe intermédiaire assurant la paix sociale. Les grands actionnaires sont les nouveaux seigneurs. Les banques n’ont, elles, pas changé de nature : des instruments au service unique des puissants.

Quand on se laisse enfermer dans le débat des « superprofits », dans celui des « jets privés », on en oublie le régime qui les permet et garantit la destruction de l’écosystème : le capitalisme. Ce ne sont pas les jets qui détruisent le climat : ce sont les gens à l’intérieur. Ce ne sont pas les superprofits qui sont scandaleux, c’est la prédation actionnariale, la prédation capitaliste.

Comme l’a montré magnifiquement l’œuvre de Sandra Lucbert, la domination capitaliste s’étend jusqu’à la langue. Celle-ci est façonnée par les dominants qui s’en servent pour imposer leur façon de penser, leur cadre. Il est aujourd’hui infiniment difficile d’expliquer que le capitalisme est une prédation alors que c’est une évidence : la faute à la langue, aux flics, aux procureurs, aux juges, aux media. La faute à tout le système de ruissellement qui rémunère la servilité. Soyez servile, vous aurez tribune, vous aurez promotion, vous aurez prix.

C’est de cela qu’il faut se débarrasser, parce que c’est cela qui nous conduit (et l’écosystème avec nous) à notre perte. Les jets ne volent pas pour eux même. Ils volent au service d’autres. Les superprofits ne se font pas pour eux-mêmes, ils se font au service d’autres. De gens qui profitent de la guerre, des sécheresses, des inondations, des pénuries. Tant que ce système perdurera, des gens profiteront de ses crises. Tant que ce système perdurera, il nous imposera ses « débats » vides de politique, son « art » dépolitisé, sa science-économique-vérité.

Il faut en sortir, il faut se mettre à penser « hors capital », refuser la stérilité de leur idéologie, refuser leur domination, leur façon de jouer avec nous.

Il faut les chasser.

Xavier Bertrand a raison

Comme Nicolas Sarkozy avant lui, Xavier Bertrand souhaite que le travail paye mieux. Il a ainsi repris à son compte une vieille proposition : faire converger le salaire brut et le salaire net en réduisant les « charges ». Évidemment, tous les gauchistes lui tombent dessus. Funeste erreur ! Dans un contexte inflationniste, on ne peut que se féliciter de le voir se préoccuper du niveau des salaires. Qui peut aller contre cette idée ? Pas moi en tout cas. J’irai même presque jusqu’à dire qu’il a raison. Malheureusement, il n’a pas poussé l’idée assez loin.

Essayons de pousser la proposition au bout, en étant aussi « sérieux » que possible. Il s’agit de s’assurer que les travailleurs reçoivent 100 % du produit de leur travail. On supprime donc complètement les « charges » salariales et patronales et on verse tout aux salariés. Tant qu’à faire, on verse également la plus-value, en reprenant l’idée de « dividende salarié », qu’on mène également au bout : tous les bénéfices sont versés aux salariés.

On aurait, sans nul doute, un sacré « choc de pouvoir d’achat ».

Toutefois, il faudrait bien que les salariés disposent d’une protection maladie, d’une assurance perte d’emploi, et d’une assurance retraite. Là aussi, la droite ne manque pas d’idées : il suffit d’imposer une mutuelle, une assurance emploi et un plan épargne retraite obligatoires. Rien de plus simple, c’est déjà fait pour la mutuelle et pas bien compliqué à mettre en place pour les retraites.

C’est là qu’intervient la science des assureurs. Afin d’assurer la stabilité et la pérennité du système, il faut que ces fonds assurantiels aient la plus grande surface possible. Pourquoi pas l’ensemble des salariés du public comme du privé ? Ainsi, on pourrait avoir un seul acteur de l’assurance santé, un seul pour l’assurance chômage un seul pour l’assurance retraite. Les synergies entre ces différents opérateurs devraient dégager de significatives marges de manœuvre financières, notamment du fait de la mutualisation des frais de gestion et de la rationalisation des offres.

On aurait toutefois un écueil à surmonter. Ce grand assureur du risque social (appelons le « sécurité sociale ») serait en situation de monopole. Le préambule de la constitution de 1946 nous imposerait alors de le nationaliser. Pourquoi pas, mais serait-ce bien responsable de faire porter à l’État l’intégralité du risque, au moment où il est déjà si endetté ? Et puis c’est connu, l’État est un piètre gestionnaire.

On ferait mieux de l’organiser sur un modèle mutualiste, où les « cotisants » seraient eux-mêmes en charge de la gestion de leur propre fonds assurantiel. Il s’assureraient que « leur argent » est géré comme il l’entendent en décidant des montants appropriés de cotisation et du niveau des prestations.

Encore quelques points de détail. En distribuant l’intégralité du bénéfice en dividende salarié on tarit la source de toute vie économique : l’investissement capitaliste. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit d’imposer une cotisation investissement. Une part du salaire serait prélevée à la source et reversée à un grand fonds d’investissement. Même raisonnement que pour l’assurance, il faudrait malheureusement nationaliser ce fonds en situation de monopole (qui capterait l’intégralité des fonds disponibles pour investissement). Et, même chose encore, on préférerait plutôt un modèle en autogestion afin d’éviter que l’État ne fasse n’importe quoi avec l’argent des travailleurs, comme il en a la fâcheuse habitude.

Ainsi, en poussant l’idée de Xavier Bertrand au bout, on disposerait d’une grande caisse couvrant le chômage, la retraite et la santé, en auto-gestion qu’on appellerait la « sécurité sociale ». On aurait également un grands fonds d’investissement public en autogestion. Finalement, Xavier Bertrand est d’accord avec Bernard Friot. Surprenant.

Démocratie, vraiment ?

L’autre soir, j’étais en soirée avec de vieux amis. Le genre de vieux amis avec qui je voulais boire des bières, faire des flipper, parler du bon vieux temps, mais surtout pas parler politique.

Et pourtant c’est arrivé, comme un coup de mitraille : j’aime bien ce que tu fais, mais « je suis attaché à la démocratie ».

C’est vrai que moi, non. J’ai beau l’écrire partout et le dire en permanence, je ne suis pas-attaché-à-la-démocratie. Non. Je suis plutôt attaché à la revendication violente, aux exactions de syndicalistes au couteau entre les dents ou de gilets jaunes bêtes féroces dont le but est d’abattre notre si belle constitution.

La même semaine, j’ai lu le bouquin de Sandra Lucbert « le ministère des contes publics ». A vrai dire je l’avais à peine fini dans le RER qu’on m’assenait déjà le coup de la « démocratie ». Quelle leçon, et quelle incarnation pour le bouquin et son concept de PFLB (Pour Faire Le Bourgeois) ! Deux heures auront séparé ma rencontre du concept et ma rencontre de sa réalité.

Dans ce bouquin, qui vaudrait un éloge plus long que lui-même, Sandra Lucbert détaille comme le discours des capitalistes percole dans toute la société, verticalement et horizontalement, en véritable hégémonie à la Gramsci. On laisse mourir des bébés ? On fait ce qu’on peut (c’est-à-dire ce qu’ils veulent), mais bon il y a des trous dans la raquette, et des bébés meurent. Que voulez-vous ?

Tout en devient fou à cette mesure. La Dette ? Cette chose n’a plus de réalité. Elle existe en soi. Et son montant en soi. Et sa gravité en soi. Bien peu importe la réalité. Tout le monde en répétera la gravité, jusqu’à en vomir, jusqu’à en faire vomir, pourvu qu’on reste dans le PFLB.

La Démocratie ? Elle existe. Elle est là. Voilà. Puisqu’on vous le dit. Et qu’on vous dit que la Dette c’est grave. Des choses existent : la démocratie. D’autres sont graves : la Dette. Aller contre tout ça, c’est aller contre le bien-suprème : réduire la Dette et conserver la sainte-démocratie.

Vers 1995, la Dette était à 60 %, et les échos titraient déjà sur la gravité du problème en nous promettant des pluies de grenouilles. Vers 2005 : 80 %. Et on nous rappelait les grenouilles auxquelles nous avions échappé (merci les gouvernants) pour nous dire que cette fois, on y était. Vers 2015, 100 %. Cette fois, ça serait la bonne : pas de grenouilles mais des rivières de sang. 2021 : 120 %. Cette fois ON VOUS A SAUVES ! Et puis l’immédiat corollaire : IL FAUDRA PAYER ! Sous-entendu : bosser jusqu’à 67 ans, c’est à dire 10 ans de plus que l’espérance de vie des égoutiers.

Tout cela est absurde mais nous ramène à la DÉMOCRATIE. Elle existe. Et même que certains, parmi les plus éduqués, y sont attachés. Réduire la dette, c’est une question dé-mo-cra-ti-que. Si on le ne le fait pas, nos enfants paieront (à qui ? Oulala. Pourquoi ? Oulala — ces questions ne se posent pas en PFLB; il faudra bien payer, puisqu’il le faut).

Alors j’ai beau dire que la DÉMOCRATIE m’a fait peur pendant deux ans. Peur physique (des lacrymos, des matraques, des grenades – dont j’ai toujours su me tenir éloigné), peur légale (un bisou chaleureux à Eric Labaye), peur para-légale (quand mon téléphone supprimait des contacts gilets jaunes en 2019, ou qu’il mettait si longtemps à établir une connexion, ou qu’il grésillait juste assez pour le me faire sentir avec ces personnes pendant qu’il ne le faisait pas avec d’autres). J’ai beau dire tout ça, parler des arrestations illégales (dont des amis), rien n’y fait : la DÉMOCRATIE est là.

J’ai beau dire qu’il n’y a pas de contre pouvoir : assemblée croupion, journaux caporalisés ou réduits à l’extrême faiblesse (que les Pandora Papers font un bel exemple), justice aux ordres quand il faut ou impuissante quand il ne faudrait pas : rien n’y fait : la DÉMOCRATIE, j’y suis attaché.

La réalité a beau être là : des yeux crevés, des mains arrachées, des décisions en conseil de défense, des volontés de sortir les politiques du droit pénal, des mensonges d’arracheurs de dents (ne bougez pas, avec un bras en moins – ou un bébé mort – vous aurez moins de Dette), rien n’y fait : la DÉMOCRATIE.

Mais la force du PFLB, ou de l’hégémonie bourgeoise (ou capitaliste), c’est précisément qu’elle est hégémonique. Alors tout le monde court derrière et répète, ou plutôt ahane (mais sans la peine), que la Dette c’est mal, et que la DÉMOCRATIE c’est bien.

Personne, jamais personne, ni sur les plateaux, ni dans l’immense jeu du PFLB pour dire que la DÉMOCRATIE, précisément, n’existe pas. Oh non. C’est un concept dont on se rengorge et qu’on dégueule en dîner, mais sans jamais savoir ce qu’il recouvre de responsabilité ou de difficulté. Castoriadis disait : « se reposer ou être libre ». Le PFLB se repose. Le PFLB dégueule sa bien-pensance ramollie à ceux qui ont le tort de ne pas se reposer. Mais repose toi, enfin ! Arrête tout ! On tient à toi. Te soutenir ? Se battre pour une cause ? Oh non, ce serait fatiguant. Et tous ces gens sont profs (qui se font massacrer dans leurs conditions de travail et leur salaire), flics (idem), consultants, ou n’importe quoi. Ils se font tous massacrer, mais ils se reposent.

Macron se repose, lui, et tout le monde se repose en l’entendant dire hier soir : « C’est très dur dans une démocratie de dire aux gens : on va vous enlever des droits massivement. ». C’est si honnête pourtant. Cette phrase contient toute la merde du monde contemporain à elle seule. Elle contient l’alternative posée à nos gouvernants : la démocratie ou autre chose. Parce que vous comprenez, qu’est ce que c’est dur d’appauvrir les pauvres pour enrichir les riches quand les pauvres doivent être d’accord. Quel effort ! On en a marre. Tout ça à cause de la démocratie.

Le moment va venir où il ne restera plus que les apparences. Macron franchit déjà le mur d’après : les apparences pèsent déjà trop. Laissez les gouvernants se reposer. Laissez les riches être riches et les pauvres êtres pauvres. Laissez les flics massacrer les gens. Toute cette démocratie, ça suffit.

Capitalisme gorafisé

Qu’est ce que le moment gorafique ? Frédéric Lordon en donne une définition assez claire : « Il y a du gorafique chaque fois que, confronté à une déclaration politique, on n’est plus en état de déterminer si elle est réelle ou grossièrement contrefaite à des fins d’épaisse caricature. »
La faiblesse de sa définition, si j’ose dire en toute humilité, est qu’elle se limite aux moments politiques. Mais le propre du gorafique, comme le dit l’auteur de l’article lui-même, c’est que c’est une « histoire de réalité désormais systématiquement en avance de la fiction ».

Il n’y a dès lors pas lieu de s’étonner que le concept dépasse sa propre définition, sitôt celle-ci posée. Le gorafisme se répand comme un virus – le covid aura au moins aidé, et non réussi, à faire comprendre les concepts de propagation exponentielle. Dès qu’un corps social est touché – ici le politique, on a à peine le temps de commencer à identifier des règles, des invariants, comme on aime à le faire en mathématiques pour comprendre les choses, qu’un autre a déjà dépassé la définition précédente.

On aura pu apprécier les moments gorafiques politiques, ces moments où l’on hésite en franche rigolade, doute et dégoût avant de devoir chercher ailleurs si vraiment la chose a eu lieu. La mort de Steve n’a rien à voir avec l’intervention de la police. L’immolation d’Annas n’était pas un geste politique. La réforme des retraites est une réponse au mouvement des gilets jaunes. Tout ceci a eu lieu, et l’article de Lordon en détaille d’autres.

Mais voilà maintenant qu’il nous faut apprécier les moments gorafiques capitalistes. Telle entreprise vient de lever 680 millions de dollars pour faire des cartes panini basées sur la blockchain. Et oui. C’est dur, c’est la réalité. Elon Musk veut envoyer des publicités dans l’espace. Et oui. Dur à avaler. Jeff Bezos s’envoie en l’air dans un chibre spatial. Dur, réél. Absurde, mais c’est comme ça que ça marche. Désormais il faudra s’y faire.

Alors qu’on se rassure tout de suite en relisant la théorie et en réécoutant Aphatie et ce bon vieux Tirole : le marché est la manière la plus efficace d’allouer les ressources au service de l’intérêt général. La main invisible agit glorieusement pour nous permettre de bénéficier du génie de nos entrepreneurs. Et puis l’instant où l’on a refermé les Echos ou le torchon de l’institut Montaigne on se ressaisit : 680 millions pour des cartes panini ? Qui en plus n’existent même pas ? On refait les calculs et il faut bien y arriver : les comptes sont pas bons Kevin. Avec ces 680 millions, on pourrait financer cinq fois le projet prometheus de moteur Ariane réutilisable, deux fois le secours populaire, ou une bonne part du programme Astrid. Mais la main invisible préfère les cartes panini.

Le charme spécial du capitalisme gorafisé, c’est qu’il résonne dans les yeux de merlan frit de nos ministres. Il faut dire qu’eux mêmes étant gorafisés jusqu’à la moelle, il n’y a pas à s’étonner. Que trouve à dire Cédric O sur les cartes panini à 680 millions ? Que c’est presque une licorne. Incroyable mais vrai. Ça y est, les levées de fonds atteignent des records. Pour quoi faire ? Qui s’en soucie ? L’important c’est que les chiffres soient là. Une palanquée de zéros alignée, ça suffit à les faire frémir.

J’aurais tendance à ne mettre en cause que les idiots qui nous gouvernent. Ils sont trop biberonnés à la croissance, n’ont pas le moindre début de compétence technique ni souci de l’intérêt général, en bref, ils sont cons comme des valises. Mais comme toujours, ce n’est pas leur faute. Sans qu’ils soient innocents, ils ne sont qu’un morceau du mouvement général de crise organique. Ce sont les structures des choses qui ont permis leur émergence, comme ces mêmes structures ont permis les panini à 680 millions. Cette structure, c’est celle du capitalisme gorafisé, du capitalisme finissant, du capitalisme tout court.

Le capitalisme, rapport social de domination, se contentait autrefois de dominer, violemment. Mais au moins il produisait, ou plutôt faisait produire, à coup de fusil dans les grévistes s’il le fallait, mais faisait produire des voitures, des avions, des trains. Voilà qu’il ne produit plus et que, non content d’opprimer, il prend goût à humilier. Et pas seulement d’humilier par le rapport de domination, mais d’humilier par l’absurde des objets nouveaux qu’il se donne et dans lesquels il embringue les gens.

Si vous n’êtes pas encore anticapitalistes, c’est le moment de le devenir, et vite.

Tout cramer

Nous voilà de nouveau enfermés dans un choix binaire : être pour le passe sanitaire ou contre le contrôle épidémique. Cette absurdité de plus nous est évidemment imposée par Macron et son gouvernement : le passe sanitaire, c’est la panacée alors si vous n’êtes pas pour, c’est que vous êtes un fichu complotiste réfractaire. Voire un antisémite.

Pourtant la réalité est plus nuancée. Quelques anti passe sont antivaccins, d’autres sont contre la société de contrôle, certains sont de droite, d’autres de gauche. Bref un peu de tout, et là-dedans quelques cinglés, quelques horribles racistes, comme partout.
Quelques pro passe sont d’horribles macronnards, d’autres pensent que la mesure est acceptable parce qu’elle est temporaire, d’autres l’acceptent par résignation (il faut bien faire quelque chose). Quid de la démocratie là dedans ? Elle n’existe pas, les gilets jaunes ou les communards nous l’ont bien prouvé, elle n’existe que lorsqu’il s’agit de faire respecter l’ordre propriétaire.

Un pouvoir ça n’aime pas la nuance, surtout un Macron absolutiste. Ça aime isoler les gens pour les contrôler. Et pas pour rien. Pour garder son pouvoir ou le faire garder à son vrai maître : l’argent. 

Souvenons-nous de 1984 et de son commentaire de Noam Chomsky « Le truc, c’est de ne pas rester isolé. Si on est isolé, comme Winston Smith dans 1984, alors tôt ou tard on lâche prise, comme il le fait à la fin. Voilà en un mot ce que racontait le roman d’Orwell. En fait, toute l’histoire du contrôle sur le peuple se résume à cela : isoler les gens des uns des autres, parce que si on peut les maintenir isolés assez longtemps, on peut leur faire croire n’importe quoi. »

Pour cet objectif, rien de mieux que les couper en deux : les gentils commerçants contre les méchants gilets jaunes, ceux qui réussissent contre ceux qui qui ne sont rien, les gentils manifestants contre les méchants casseurs, les gentils qui veulent du passe contre les méchants réfractaires antivaccins.

Ensuite il n’y a plus qu’à laisser faire la machine.

D’une part les médias vont rentrer à fond dans cette logique à coup de micro-trottoir et d’experts de plateau à la Michel Cymes.
D’autre part, face à la communication de plus en plus brouillonne du gouvernement (à la fois par incompétence et à dessein, sans qu’on ne sache jamais où est la frontière) les réseaux sociaux vont s’enflammer pendant que les administrations vont se noyer sous les directives et déclarations contradictoires.

La polémique va enfler et s’auto entretenir, créant autant de lignes de fractures chez l’opposition qu’elle crée de résignation chez la majorité : les gilets jaunes, oui, mais pas les Black bloc ; les anti passe oui, mais pas les antivaccins.
Enfin, les brevets en pureté idéologique caractérisant le pandémonium vont entrer en jeu pour finir de faire éclater le front. Impossible de manifester avec l’extrême droite (laquelle ?). Impossible de manifester avec l’extrême gauche (laquelle ?). Untel est pour ? Je suis donc contre.
Il existe pourtant une ligne politique viable : être pour la vaccination obligatoire et contre le passe sanitaire. C’est même la seule ligne tenable. Le virus tue ET macron s’en sert pour imposer un modèle autoritaire à la chinoise qui n’a rien de sanitaire. D’autres pays en font autant ? Mêmes causes, mêmes effets. Mais plus rien de la raison n’atteint beaucoup de gens, ils sont sidérés entre haine de Macron, peur du virus, peur du vaccin, angoisse économique, dépression structurelle et tremblements militants pour les plus politisés. 
Même les plus grosses évidences ne feront pas réagir. Untel gifle Macron et se retrouve condamné à 18 mois de prison, dont 4 fermes avec mandat de dépôt, le tout en quelques jours ? Bien fait pour sa gueule, dirons certains, c’était un vilain d’extrême droite. D’autres en disaient autant d’Antoine Boudinet (c’était un vilain d’extrême gauche) ramassant une grenade avant que sa main explose. Les gerbes de sang, c’est comme les gerbes de prison, c’est joli de loin. Ça a son esthétique militante, on s’en réjouit, on s’en contente, c’est charmant. C’est comme le réchauffement climatique, ça brûle, c’est triste mais c’est beau. Mais impossible de voir le fond : elles viennent des structures qui elles, arrachent des mains, des pieds, mettent des gens en prison pour rien, détruisent des cœurs de boxeurs.

Ces structures ont des noms : ce sont celles qui nous gouvernent, en un mot le capitalisme. On pourrait le réduire à son expression libérale acceptable, un bon vieux fordisme avec actionnariat familial. Mais l’actionnariat familial accepterait-il le protectionnisme, les droits sociaux, les normes environnementales, et tout ce qui est nécessaire à une vraie démocratie écologique ? Non il nous chierait dans les bottes comme nous chie sur le nez le néolibéralisme (avec moins d’élégance il faut le reconnaitre). Le pouvoir est là : aux mains de l’argent, et l’argent ne se laissera d’autant moins faire qu’il a infiltré les classes intermédiaires via la capitalisation des retraites aux USA ou la participation en Allemagne.

Le changement à venir impose de changer complètement de modèle, nous disait déjà le rapport Meadows en 1972. Barbara Pompili ne dit pas autre chose mais avec beaucoup plus de mauvaise foi électorale. Pourtant changer de modèle suppose de changer la nature des structures, à savoir démolir le capitalisme.

Et si c’était nous tous qui étions les robots de Blade Runner ? On retire d’autres robots, on se bat pour le système alors que notre intérêt objectif est de le faire brûler. On gère des gens, on obéit à d’autres, on vit dans un système qui n’a plus le moindre sens mais on le fait pour continuer d’être. La planète brûle, la Sibérie, le Canada, la Turquie, l’Algérie, Madagascar, le Pakistan, la Californie, la Grèce, tout brûle. Tout crame pendant qu’on devise de nos responsabilités individuelles. Le Covid fait brûler l’économie et tue des gens par millions ? On discute de notre responsabilité individuelle pendant que Macron se lave les pieds au numéro 5.
La responsabilité de tout ça, des incendies, des morts du covid, des rivières sèches, etc, appartient aux ordures qui nous gouvernent et aux structures qui leur ordonnent de le faire.

Comment envisager une autre solution que tout brûler ? Tout cramer comme disent les anarchistes ?

La part du capitalisme dans la mort de l’écosystème est totale, leur part dans la souffrance sociale est absolue, ils se gavent de dividendes en niant les effets de leurs propres méfaits. Et on y croit. Enfin assez de gens y croient pour se retrouver liquidateurs d’un système qui en enrichit d’autres en nous faisant tous mourir. Brûler nos maitres, voila ce qui doit nous guider. Brûler l’actionnariat, brûler le capitalisme, brûler la finance, brûler les structures politiques, en un mot, tout cramer.
Rien d’autre ne pourra nous sauver. C’est eux ou nous : cramer le capitalisme ou tout regarder cramer.

Incendie

Sous les éclairs, on ne voit plus le monde. On est paralysés par la peur, irrationnelle, mais parfois bien réelle, de la fureur des éléments. Le vent, la pluie, la foudre se déchaînent et petite biquette n’a plus qu’à se réfugier sous un rocher en attendant que ça passe. On voit passer les choses et on en oublie presque de revenir à la raison : se réfugier. Pourquoi ne pas plutôt prévoir la maison de demain qui tiendra ?

Une semaine à peine après mon dernier article, je ne croyais pas voir les éléments se déchaîner si vilainement. Soutenir les Palestiniens ? c’est antisémite et c’est interdit, puis c’est réprimé. Critiquer l’institution policière, c’est être anti-flic. Et personne ou quasiment pour ramener l’ambiance au réel. Quelqu’un pour rappeler que bombarder un immeuble de médias internationaux c’est mal ? Un titre timide du monde. Quelqu’un pour rappeler la liste des violations du droit international par Israël ? Des antisémites et tribune ouverte à Manuel Valls, immonde fossoyeur de la République. Quelqu’un pour rappeler Michel Zecler, Jerôme Rodrigues, Manu, Cédric Chouviat, les ordres du 8 décembre ? Des anti-flics. La semaine passée aura fait le tri entre les naïfs qui croient encore vivre à l’époque du compromis, les rares attachés aux principes de la République et les ambitieux, traitres se croyant capable d’amadouer une force qu’il ne convient que de combattre.

Rares voix dans le désert qu’est devenue la politique française, nous plaidons la raison. La violence, d’où qu’elle vienne, a toujours tort. Et elle a d’autant plus tort quand elle vient du côté du pouvoir. S’en remettre à la force, c’est s’en remettre au pire. S’il faut parfois en arriver là pour contester, il ne faut jamais l’accepter des dominants. La violence qui vient d’en haut est une violence au carré. S’il est heureux que le peuple puisse s’insurger, parfois violemment, il n’est est jamais de même des factions armées. La police doit garantir la sûreté, rien d’autre. L’armée doit protéger l’intégrité du territoire et les intérêts nationaux à l’étranger, rien d’autre. Utiliser l’une ou l’autre (surtout l’autre) pour des intérêts politique est un crime.

Parfois, il faut essayer de savoir où l’on en est. Eh bien j’ai le malheureux sentiment qu’on est mal. Nous sommes sur la ligne de bascule. Soit on accepte de s’en remettre à ceux qui appellent au pire, soit on rassemble toute la force qui est en nous pour les chasser. Ils iront toujours plus loin dans le malheur. D’où que vienne le changement promis, s’il vient d’en haut il sera pour le pire. Si c’est la police, si c’est l’armée, si c’est quoi que ce soit qui vous promet un ordre qui viendrait seulement par l’application de la force, ce sera pour le pire. Le gouvernement par la force a un nom. Il prétend toujours être celui des meilleurs, mais il s’agit toujours de celui du pire.

Renfermés dans la dépression, qu’est ce qu’il nous reste face aux syndicats policiers, face au pouvoir du capital, face au pouvoir des médias, face au pouvoir de forces gagnées à des idées factieuses ? Nous en remettre à une portion minoritaire de cette élite au pouvoir qui voudrait en renverser la majorité ? Ou nous en remettre à la majorité populaire capable de chasser ces parasites tous ensemble pour les renouveler intégralement ?

Il est impossible de répondre à cette question pour vous. L’un des deux chemins est confortable. Mais il sera si douloureux. S’en remettre à dix ou vingt ans de domination d’une autre élite, c’est accepter le pire. L’autre est difficile et incertain. Il s’agit de tous les chasser en même temps. Pour cela il faut accepter les défaites, souffrir le pire et espérer le meilleur. Celui-ci viendra à condition de nous battre pour lui. La vie est si courte que le chemin de l’honneur vaudra toujours mieux que celui du confort.

Souvenons-nous de nos grands camarades résistants. Dès avant-guerre, certains avaient déjà choisi : souffrir honorablement ou vivre misérablement. Demain il ne s’agira sans doute pas de guerre, en tout cas pas sous la même forme, mais le choix qui s’offre à nous est le même : lutter dans la gloire ou vivre dans le déshonneur.

En quelques années, nous sommes passés du pitoyable au tragique. L’incendie à venir peut-être de deux natures : fasciste ou social. Pour qu’il soit l’un, il suffit de se laisser faire. Pour qu’il soit l’autre il faut se tenir droit, appeler tout le monde à la lutte et se tenir prêt. J’ai fait mon choix. Je veux la liberté, l’égalité, la fraternité, dans leur sens enfin accompli. Je ne veux ni militaires dans la rue, ni policiers juges, ni gouvernement corrompu. Je veux mon cœur réconcilié, des bras accueillants et de la musique le soir. Il en coûtera à tous ceux qui feront ce choix, mais au mieux nous auront la gloire, au pire nous aurons un honneur sauf : celui de nous êtres battus pour la justice.

CYRANO
Je crois qu’elle regarde…
Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là !- Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
Tiens, tiens ! -Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! -Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
et c’est…


ROXANE
C’est ?…


CYRANO
Mon panache.

Phénomènes électromagnétiques

Merveille de la nature, le ciel d’orage me fascine. Je pourrais le regarder toute la journée tant il est beau et tant je le crains. A mesure que les cumulonimbus montent dans l’atmosphère et que le sol comme le ciel se chargent d’électricité, les phénomènes les plus étranges se produisent. Des vents forts et tourbillonnants se lèvent puis cessent brutalement. Les hirondelles planent haut dans le ciel en mangeant les insectes excités par les champs électriques. Les abeilles se dépêchent de butiner avant la pluie. Au voisinage des pointes, en cas de grand orage, on peut même observer des feux de Saint-Elme annonciateurs de la foudre. Et puis c’est la douche, le tonnerre et les arbres arrachés pendant qu’on s’en inquiète au chaud d’une chambre sans électricité.

En élargissant la perspective au politique, le ciel de crise organique est tout aussi fascinant : « A l’étage du pouvoir, tout part en cacahuète ». Les vents forts et contraires se lèvent et cessent brutalement. De grands bruits sans effet en proviennent. Les nuages montent de plus en plus haut et deviennent de plus en plus noirs pendant que l’air lui-même change d’odeur sous l’effet de la moiteur qui gagne. En bas, on observe également des feux de Saint-Elme sur les pointes des corps politiques : black-bloc, tribunes échevelées, action écologique radicale.

Radicalité d’en bas complémentaire de la radicalité d’en haut : quand les différences de potentiel sont trop grandes, c’est l’éclair de la révolution. A la manière du ciel d’orage (le vrai), on ne peut pas savoir ni où ni quand la foudre frappera, si elle frappera ni sous quelle forme. L’observation des potentiels locaux, amplifiés par des effets de pointes, propagés par la conductivité accrue d’un air humide, ne donne pas assez d’indice sur l’état de l’ensemble. Si on peut les influencer à la marge, on sent juste venir les choses.

Valeurs actuelles, en publiant ces tribunes ne fait que montrer l’état politique de certaines pointes. L’absence de réaction du pouvoir, ou leur mollesse, montre pourtant qu’il n’y a là rien de menaçant pour eux. La décharge ne servirait qu’à rééquilibrer l’atmosphère, le plus à droite possible avant une élection qui serait difficile sans cette odeur dans l’air. A vrai dire, tout ceci sert surtout à signifier ce qui pourrait se passer dans le cas où des forces politiques arriveraient au pouvoir avec le malheur d’être jugées insatisfaisante par ces membres de corps armés.

En s’en remettant à ces olibrius, une partie du peuple semble avoir déjà oublié ce qui se passe quand on laisse carte blanche à des forces armées. Si bien qu’on en arrive à douter qu’il s’agisse des mêmes personnes. Étrangement sur Facebook, les negacovid semblent s’être massivement métamorphosés en soutiens aux généraux. Il n’y a qu’un pas pour en arriver à soupçonner des opérations menées et financées. Je ne le franchirai pas car même si c’était vrai, la responsabilité en reviendrait toujours au pouvoir. Si les gens gobent des balivernes (organisées ou non), c’est que c’est d’abord le pouvoir qui leur sert des balivernes (celles-ci bien organisées).

Il n’en reste pas moins que le climat orageux est là et que le vent commence à souffler fort. Contrairement au ciel d’orage, seul maitre du destin qu’il nous infligera, le climat de crise organique est partiellement sous notre contrôle. On peut essayer d’influencer les directions, de préparer les lendemains, d’augmenter la désirabilité d’un projet politique ou d’un autre.

La révolution devient notre horizon commun. Tout le monde commence à le sentir, même si beaucoup hésitent quant à la forme qu’elle devra prendre. Le pouvoir ne lâchera rien, ni au niveau de la France ni au niveau des institutions supranationales, sans un mouvement populaire macroscopique de niveau insurrectionnel en face de lui. Les Gilets Jaunes nous ont donné la mesure de ce qu’il fallait pour espérer changer les choses. En échouant aux portes de l’Élysée, ils ont gagné une bataille majeure : ils ont fait éclater à la face de la France que nous n’étions pas en démocratie. A partir de là, tout devient possible.

Le désir révolutionnaire, finalement, c’est préférer l’inconfort probable d’une transition difficile vers des lendemains heureux à la perpétuation d’un ordre rassurant mais qui devient de plus en plus intolérable. A mesure que la situation ira se dégradant (réforme de l’assurance chômage aidant), la crainte de la transition diminuera. Mais les gens ne bougent pas seulement par dégoût, ils bougent surtout par désir. A nous de proposer une alternative à ce monde finissant. A nous de la rendre suffisamment attirante, suffisamment stable, à nous de la diffuser dans la société dans son ensemble jusqu’à gagner son cœur.

Enfin, quand l’orage éclatera, tout sera à nouveau une question de République : sera-t-elle Sociale ou versaillaise.

Cap au large

Chahutés d’incohérences en mensonges, de peurs en angoisses, de nullités en trahisons, nous ne savons plus où donner de la tête. Qu’on signe des pétitions (comme pour ADP), et nous sommes bons pour la contre-propagande et l’oubli institutionnel. Qu’on manifeste, et on est bons pour la BRAV. Qu’on souffre d’une pandémie, et on est bons pour à la fois les morts et les restrictions de libertés.

Il faut s’y rendre : toutes les stratégies de lutte menées au sein des institutions sont devenues inopérantes. Le pouvoir écrase les manifestations, enferme les dissidents, poursuit les lanceurs d’alerte, verrouille l’espace de discussion, restreint les libertés publiques.

Evidemment, ils ne s’arrêteront pas là, et le cliquet continuera de cliquer. A chaque attentat, à chaque fait divers, à chaque manifestation qui dégénère, le pouvoir continuera de faire glisser le curseur vers un modèle poutino-chinois, voire plus loin, car on n’ira jamais assez loin en cette matière.

Leur stratégie – peut-on vraiment parler de stratégie ? – tient en deux mots : répression et dépression. Nous avons bien vu la répression policière s’abattant sur les manifestants contre la loi travail, sur les grévistes contre la réforme des retraites, sur ce dernier premier mai en passant évidemment par les Gilets Jaunes et leurs dizaines de mutilés. Celle-ci recouvre aussi un aspect judiciaire, Macron ressuscitant les lettres de cachet contre les gilets jaunes. Elle a aussi un aspect médiatique insuffisamment analysé : une sorte de répression médiatique, où les grévistes passent pour des profiteurs, les gilets jaunes pour des violents, les lanceurs d’alerte pour des instables, les black bloc pour des brutes sans foi ni loi.

D’abord quasi indolore, la réponse répressive monte graduellement en intensité à mesure que la menace monte en crédibilité pour l’ordre établi : l’ordre propriétaire. Qu’on demande à négocier, et rien ne se passera d’autre que du silence ou des commissions fantoches. Qu’on demande des salaires ou des lois, et on aura droit aux flics. Qu’on demande de la démocratie et de la justice, et là ça se règlera au glaive.

Observable, la répression a au moins le mérite de pouvoir susciter l’indignation quand elle y va trop fort (Cédric, Michel, Manu, Steve, Jérôme, …) et de permettre d’imaginer des stratégies d’évitement qui vont de la résignation à la contre-attaque à la manière black bloc ou écolo-radicale. Au contraire, ce qu’on observe depuis le début de la pandémie – très particulièrement en France – est une sur-épidémie psychiatrique et particulièrement dépressive. Les étudiants se suicident, le malaise au travail se répand et ce n’est qu’une question de temps avant qu’on voie exploser la consommation de psychotropes.

Radicalement efficace comme moyen de contrôle populaire (en témoigne la situation grecque), la dépression permet d’abrutir les gens en les laissant au fond du canapé. Sans que cela soit nécessairement pensé explicitement, je ne peux pas imaginer que la prorogation infinie du couvre-feu soit parfaitement innocente. Sans efficacité dans la lutte contre l’épidémie, cette mesure a au moins le mérite d’envoyer les gens chez leur psychiatre plutôt que dans les manifestations ou au volant d’un fenwick ou aux manettes d’une pelleteuse.

Au fond du trou, on a tendance à attendre un deus ex machina qui nous en sortirait. Et on cherche alors la force là où on pense qu’elle se trouve. Cela permet d’attendre et de se confier à autre chose qui ferait nécessairement mieux. Tout à notre désir – devenu quasi impuissant – de chasser un pouvoir qui nous révulse, la tentation est grande de céder au mono-idéisme : chasser Macron à tout prix, n’importe comment et par suite avec n’importe qui.

Gens d’armes, généraux, amiraux qui écrivent n’importe quoi peuvent alors paraître comme un recours acceptable. Ils proposent de chasser Macron, pourquoi ne pas les suivre, après tout ils sont forts ? C’est là que ce mono-idéisme là cède à toutes les facilités propres à l’état dépressif de la Nation. Cap au pire, accélérons, mais au moins finissons-en.

Et puis tant pis si leur pensée n’a pas l’ombre d’un début de consistance. Tant pis s’ils ne parlent pas de structures, d’UE, d’OTAN, d’oligarchie, bref de toutes les racines des maux qui frappent la France. Tant pis si les conséquences d’une intervention armée (qui n’a pas aujourd’hui le début d’une once de crédibilité) se mesureraient en situation à la syrienne ou à l’espagnole. Tant pis si aucune force civile ne peut arrêter un char, descendre un Rafale ou couler une frégate. On irait parce qu’il ne nous reste plus que ça. Cette force là est trop forte et elle doit rester là où elle est : en caserne. A la vérité il nous reste bien plus : nous autres. C’est à nous autres de nous relever, d’aller chez le psychiatre s’il le faut mais de rester debout. C’est à nous qu’appartient la lutte et c’est à nous de la gagner, ensemble. Seuls, nous sommes perdus et rien ne viendra nous sauver, ni les urnes ni l’armée. C’est unis qu’il faut chasser Macron, c’est ensemble qu’il faut imaginer et conquérir des lendemains qui chantent : une vie belle et heureuse.