Polytechnicien·ne·s, ce monde se meurt : engagez-vous !
Gaspard Monge écrivait à propos de l’École polytechnique :
« L’objet de cette institution est de donner à des jeunes citoyens toutes les connaissances qui sont nécessaires pour ordonner, diriger et administrer les travaux de tous les genres exécutés aux frais de la République. »
Cette vision généreuse a conduit des générations de polytechniciens et polytechniciennes à contribuer à la construction de l’industrie nationale et des grands corps techniques de l’État.
Or nous assistons depuis à une remise en cause de ce contrat moral qui a fondé notre légitimité. Des pans entiers de l’industrie ont été démantelés, des savoir-faire stratégiques ont été perdus, des structures de production entières ont quitté le pays, ruinant des bassins d’emploi et des systèmes industriels complexes. L’abandon récent d’Alstom donne à voir l’effet désastreux du primat absolu donné aux profits à court-terme, au détriment des logiques à long-terme qui gouvernent toute véritable stratégie industrielle.
Cette domination du court-terme, caractéristique du capitalisme financiarisé qui s’est imposé comme cadre de pensée unique, se double d’un déni de réalité face au défi climatique et écologique. La communauté scientifique dénonce unanimement le caractère insoutenable du modèle de production de nos sociétés, mais nos gouvernements se contentent de mesures insuffisantes au regard des enjeux, quand elles ne sont pas purement de façade.
Le modèle social français qui unissait par la solidarité est attaqué frontalement et la société finit divisée. Les privatisations, mais aussi la casse du droit du travail, les réformes régressives de l’assurance chômage et des retraites, signent une politique orientée en faveur des intérêts de la classe dominante. La réponse répressive donnée au mouvement des Gilets Jaunes a mis en évidence l’existence d’une cassure profonde entre le peuple français et les soi-disant « élites » qui le gouvernent.
Soyons lucides. Nombre de polytechnicien·ne·s se sont laissé·e·s entraîner dans ces logiques mercantilistes devenues mortifères.
L’ « esprit d’entreprise » ou de corps, la foi dans le progrès technique et la compétitivité les a rendu·e·s aveugles au désastre écologique et aux souffrances sociales. Ils et elles ont servi ce système sans avenir ni vision, accumulant parfois pour certaines et certains argent et pouvoir à leur seul profit. Aujourd’hui, nous disons que nous ne pouvons pas continuer ainsi, ni collectivement ni individuellement. Nous devons être les officiers de la République et refuser d’être les zélateurs de l’argent.
La crise que nous vivons n’est pas un nouveau soubresaut, conséquence d’une nouvelle adaptation du capitalisme ; elle n’est pas la conséquence de blocages qu’il faudrait surmonter. Cette crise du modèle de développement capitaliste, dans sa forme ultra libérale, est globale. Elle a des racines idéologiques et institutionnelles profondes et des conséquences sociales, écologiques et climatiques.
D’abord poussé·e·s par des considérations individuelles de fin de mois, les Gilets Jaunes ont investi sans crier gare un champ politique et médiatique jusqu’alors trop convenu. Après quelques semaines à débattre sur les rond-points, ils et elles ont, abouti à des revendications collectives profondes visant à refonder le pacte républicain. Réformer à la marge ne suffit plus, ce sont les fondamentaux qu’il faut remettre en cause. Le libéralisme complaisant est dépassé, il nous faut inventer autre chose.
Une fois ce constat établi, comment faire pour rassembler ce qui est épars ? En visant ce qui nous réunit : la refondation de la Nation, dans son acception universaliste et émancipatrice.
La devise de la République française : « Liberté, Égalité, Fraternité » ainsi que l’article premier de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » sont nos boussoles, elles qui ont été si souvent dévoyées. Autour d’un socle si avare en mots mais si profond, nous voulons construire avec celles et ceux qui s’y retrouvent au-delà de leurs différences.
Nous inspirant de l’esprit de rassemblement qui anima le Conseil National de la Résistance, et du contenu résolument transformateur de son programme « les jours heureux » nous lançons un appel aux polytechnicien·ne·s à apporter leur dynamisme, leurs compétences, leurs utopies au service d’une remise en cause radicale de notre modèle de développement ; en mettant en évidence les raisons du désastre auquel nous conduit la doxa ultra libérale, en mettant à disposition de la société des idées et des outils capables d’aider aux nécessaires changements de cap.
Margaret Thatcher avait inventé le concept du TINA « There Is No Alternative », cher aux gouvernants. Nous ne nous y résignons pas, car nous savons que d’autres voies sont non seulement nécessaires mais possibles. Démocratie pleine, transition écologique, République sociale, les enjeux sont immenses.
Camarades polytechnicien·ne·s, il est temps de s’engager ! Dans ce monde qui se meurt, jouons notre rôle. Nous pouvons redevenir des ingénieurs scientifiques au service de l’intérêt général. L’urgence nous oblige, privilégions la politique pour enfin mettre la technique au service du peuple.
Dans notre devise « Pour la Patrie, les sciences et la gloire », notre gloire est de permettre à la France et au peuple français de retrouver sa souveraineté et sa liberté. La pleine égalité entre citoyennes et citoyens au sein d’une nation fraternelle, à l’intérieur comme à l’extérieur, sont à portée de main !