Le contenu de cet article n'engage que son auteur : Régis Portalez

On avait dit faites mieux

Dans les horribles remugles qui secouent la France, il n’y avait pas cinquante stratégies à suivre : la clarté.

Vous avez choisi autre chose. Quoi ? D’ailleurs on ne le sait pas.

Laissez moi d’abord faire un petit tableau de la simplicité de la situation, afin que vous mesuriez mieux votre faillite.

Phase 1 (1 vient après zéro) :
Le 7 octobre 2023, le Hamas (ou plutôt sa branche armée, les brigades Al-Qassam), commet un crime épouvantable, tuant des milliers de personnes innocentes, y compris des femmes, des enfants et militants pro palestine.
Sans surprise l’indignation est générale. J’étais dans mon atelier en train de souder, à la campagne, ou alors avec des amis là bas en train de boire une bière avec le chien sur les genoux, bien loin de Paris. J’ai vu tard ce crime comme j’avais vu tard l’irruption des Gilets Jaunes de province, étant cette fois à la campagne plutôt qu’à Paris comme j’avais été à Paris plutôt que là bas. Vous êtes à Paris. Vous avez des relais partout (ou vous devriez). Vous êtes des politiques. Vous devez voir ça. Et y réagir. D’une façon proportionnée et surtout coordonnée. Mais vas-y que tout le monde y va de son tweet individuel, de son plateau. Ça vous coûtait quoi d’attendre pour réfléchir et de dire ce qu’il faut : ce sont des crimes horribles. Et il ne s’agissait pas seulement de droit international ou de théorie de la lutte décoloniale, il s’agissait de montrer de la compassion pour les victimes.

Phase 2 :
Sitôt cela, la droite, le macronisme, l’extrême droite, les media et leur cohorte d’éditorialistes, vous ont sommé de qualifier ces crimes de terrorisme. L’ami Frédéric a très bien écrit que c’était un cul de sac de la pensée, et vous avez tenu la tranchée. Il vous en sait gré, et moi aussi, et tant avec nous, de Gaza à Paris. Mais il écrit plus que ça. Le moment qui passe est celui de la « catalyse totalitaire » (pour reprendre son titre). Ne savez vous pas la valeur de ce genre de mots ? Combien de fois vous faut-il que les Cassandre aient raison pour que vous sortiez de vos petits déjeuner en face de l’assemblée, de vos taxis, de vos réunions, des vos petits groupes , de vos plateaux et de la pressurisation de vos collabs ?

Phase 3 :
La « catalyse totalitaire », ne trouvant pas en face d’elle un point d’arrêt solide, est arrivée à un point d’absurde où TOUT devient antisémite, si ce n’est carrément soutien au Hamas, sinon à ses actes du 7 octobre. Le PS (ou ses ruines fumantes), en quête de résurrection (sans doute à l’approche des européennes) et de l’invisible gauche de gouvernement déçue du macronisme (elle est à droite pour toujours), lance une idée débile : faire une grande marche contre l’antisémitisme. Qui serait contre ? Evidemment personne, c’était sans doute le calcul génial des grands stratèges du grand parti traître. Sauf que catalyse. Le RN se rallie. Panique à bord. Le parti fondé par un criminel de guerre, un ancien Waffen SS, ayant Dieu-sait combien de membres anciens (ou actuels) membres d’organisations Gudardes ou ouvertement racistes, vient à notre manif. Et voilà même que Zemmour viendra. Lui qui voulait un ministère de la remigration.

Phase 4 :
Rétro pédalage miteux, voyant à l’unisson Loiseau, Braun-Pivet, Faure, Tondelier (aka fleur au fusil), et même Ruffin dire qu’ils manifesteront sous cordon sanitaire. Quelle pitié. On imagine manifester avec la peste bubonique derrière un paravent. Après tout, elle aussi a le droit d’être contre les maladies infectieuses ! D’ailleurs les Klarsfeld ne se sont pas privés de rappeler qu’il était bon que la peste soit maintenant du côté des vivants. Autant de légitimations, non pas de l’extrême droite dédiabolisée, mais de votre forfaiture. Piégés par les actes antisémites perpétrés récemment (d’où qu’ils viennent, media et préfectures sachant garder l’ambiguïté — où sont les moldaves), piégés par l’urgence et votre incapacité à gérer l’agenda imposé par l’hegemon.

Phase 0 :
Ayant raté la phase 1 : dire clairement que les actes d’Al Qassam n’étaient pas de simples actes criminels à enregistrer dans le grand livre des horreurs humaines en guerre mais des crimes épouvantables, vous ne pouviez que très difficilement rappeler la phase 0 : tout ceci vient d’horreurs coloniales, d’une violence asymétrique sans cesse perpétuée. Depuis 1948 et le massacre de Deir Yassin, sans cesse et tout le temps se reproduit la même chose : l’expropriation, le meurtre, l’apartheid. Ce qu’au delà des horreurs le camarade Bassem Youssef décrit simplement et qui serait apparemment largement ressenti dans le monde arabe (on les comprend bien) : l’occident considère les palestiniens (et le monde arabe en général) comme des sous-hommes (« lesser beings »).

Phase 5, clarté :
Tout cela étant miteux, quelles obligations étaient les vôtres ? Une seule : la clarté, qui se résume en très peu de lignes :
– oui nous sommes résolument contre l’antisémitisme
– oui nous sommes résolument pour l’autonomie du peuple palestinien
– non nous n’irons jamais manifester avec l’extrême droite et les macronistes
– en conclusion : nous déclarons notre propre manifestation.

Rien de cela.

Cela coûte 5 minutes sur le site de la préfecture de Paris de déclarer une manifestation. Il y a même un formulaire dédié. Mais non. Il était si important d’être purs (loin des fachos — ce qu’on apprécie) que vous avez oublié votre propre intérêt et vous êtes enfermés dans une merde sans nom, prêtant le flanc à toutes les attaques du bloc macronofacho. Vous avez surtout raté une occasion politique majeure : montrer notre force et la déployer. Combien d’associations, de citoyens, des syndicats, vous ont regardé les bras ballants ?

Le vieux n’avait pas dit grand chose après le premier tour (cette fois), mais (cette fois), ses mots étaient justes : faites mieux ! Je l’avais dit à ma sauce aussi : saisissez vous des armes qu’ils nous laissent. Mais non, il aura fallu être minable. Se déchirer pitoyablement. Vous ne méritez pas notre vote.

Quand à nous autres, débarrassés de la plupart de nos représentants, que nous reste-t-il à faire ? Rien de plus simple que « faire mieux ». Si la tête est incapable, le corps doit bouger. Les Gilets Jaunes n’ont pas attendu qu’un grand mamamouchi à plumes leur dise d’aller dresser des barricades à 500km de chez eux. Ils y sont allés. Ils ont fait et se sont battus. On y était.

Faites en autant : quand les institutions pourrissent de l’ambition de leurs membres, quand elles deviennent incapables à force de jouer le jeu du pouvoir qu’elles cherchent à conquérir : remplacez les, après tout elles ne servent qu’à nuire.

A mon échelle, face à ça, j’ai déclaré une manifestation ce dimanche, à côté de chez moi, rue de la Palestine, près d’une église, en plein quartier juif. Venez. Et si ça ne vous va pas, organisez la vôtre : n’attendez pas les consignes.

Faites mieux.