Le contenu de cet article n'engage que son auteur : Régis Portalez

Épiphanie

Ça y est !

Après des années d’égarement, j’ai compris.

Je veux donc commencer ce billet en présentant mes excuses. Je me suis égaré, j’ai été vulgaire, inquiet (bien inutilement), j’ai passé des années à contre sens. Je me suis opposé frontalement à tout, j’ai essayé d’y encourager les autres, je suis allé soutenir tous ceux qui en faisaient autant. Quelle erreur funeste.

Je pensais naïvement que 2 et 2 faisaient quatre. J’en étais à jurer. Contre Dieu et contre la raison. Comme Dom Juan et contre le paysan miséreux.

Pas plus tard qu’il y a deux jours, je jurais encore que 2 et 2 sont quatre.

Mais depuis, des choses cruciales se sont passées qui m’ont fait entendre raison.

Entre temps, la préfète de Sainte-Soline, Gérald Darmanin, un jeune officier de gendarmerie, Eric Zemmour, Cyril Hanouna, des sources diverses en somme, m’ont expliqué les raisons qui avaient conduit à la situation autour de cette très sainte propriété privée. Les journalistes, unanimes sinon quelques gauchistes, ont développé et approfondi cette parole pour en tirer une conclusion unanime : l’État détient le monopole de la violence. Il est donc normal que l’État mette des gens dans le coma, leur arrache des pieds, des pouces ou leur crève les yeux : c’est légitime. En fait c’était simple comme bonjour. Il suffisait de se contenter de lire un dictionnaire de citation de Max Weber. Geste simple que je n’avais jamais accompli. Malheur à moi.

Entre temps, Emmanuel Macron, rempart lumineux des démocraties du monde libre, a pu s’exprimer dans les colonnes de Pif Gadget. Enfin un journal a daigné recueillir sa précieuse parole. Il s’y adresse aux enfants. J’en suis un moi aussi, si petit devant sa grandeur et la profondeur de sa pensée. J’ai compris le symbole un peu tard : il s’agissait de me rappeler ma place. Ma place, c’est au CE2. Je l’admets volontiers, moi qui ne comprends que si tard les subtilités de la politique. Moi qui me suis bêtement opposé à des choses aussi naturelles (quant on y pense sérieusement) que la vente d’Alstom, la réforme des retraites, celle du chômage, la flat tax, la fin de l’ISF, l’ARENH…

Entre temps, Marlène Schiappa s’est exprimée dans Playboy. Enfin une ex-ministre met les femmes à leur place : à poil. A poil on est libre. Exposée nue devant les regards des hommes, on réinstaure enfin un rapport d’égalité entre hommes et femmes. Celui qui regarde et celle qui est regardée. En rappelant que l’espace est isotrope et que regardant et regardée se sont que les deux extrémités d’un rayon lumineux, Marlène remet de la physique dans le débat public tout en défendant la cause des femmes. Quelle profondeur ! On n’avait pas vu ça depuis Poincaré. Quelques mauvais esprits l’accusaient de faire diversion quant à la gestion du fond Marianne… ils n’ont rien compris.

Entre temps, Olivier Dussopt a fait sienne la cause LGBT en révélant son homosexualité dans le journal Têtu. Quel courage ! J’en ai été saisi d’admiration. Faire ça en pleine réforme des retraites, réforme nécessaire s’il en est mais contestée comme jamais par un peuple de lecteurs de Pif Gadget. Faire ça quand on sait les conséquences d’un coming out sur certains jeunes gens : violence, isolement, abandon. Il a tout risqué et certains l’ont décrié. Honte à eux.

Entre temps une personne de peu de foi qualifiait notre très saint président d’ordure. Très naturellement, elle a été interpellée chez elle par des policiers n’écoutant que leur courage. Elle sera jugée en juin pour injure publique aggravée (personne dépositaire de l’autorité publique). C’est heureux et j’espère quelle sera lourdement condamnée. Où va la démocratie si les gens peuvent se mettre à insulter leurs représentants ? La démocratie, c’est d’abord le débat. Mais un débat entre ceux qui peuvent en comprendre la nature : un débat entre gens « plus égaux ».

Entre temps le préfet Nuñez, dans sa grande sagesse, a lancé une procédure contre Jean-Luc Mélenchon après les propos de celui-ci sur les courageux policiers de la BRAV-M. Ceux-ci donnent de leur temps et de leur corps pour faire respecter l’ordre. Quel ordre ? Le bon, celui de notre président. Celui du très saint capital dont on ne va pas tarder à voir enfin les effets heureux sur notre écosystème. Il va de soi qu’un magistrat s’est saisi de cette plainte bien naturelle et pour tout dire, un peu tardive.

Entre temps, des sénateurs Républicains ont déposé une proposition de loi visant à limiter le droit de grève. Finie la grève chez les raffineurs. Finie la grève dans les transports ! Enfin. Libre d’aller au Touquet déposer une gerbe devant la maison du Guide, même en période de tension sociale. Enfin !

Entre temps, Gérald Darmanin a entamé une procédure de dissolution des soulèvements de la terre. Il était temps. Ces gens s’en prennent à la propriété privée, dont il faut rappeler que c’est un droit « sacré » dans la déclaration des droits de l’Homme. C’est même le droit le plus important à vrai dire. Celui qui fonde tout le reste. Pas de liberté sans propriété dit-on.

AU bout de ces quelques jours, j’ai enfin pris conscience de la réalité. J’ai réalisé que j’étais dans le camp de la violence, celui qui se bat pour dire que 2 et 2 font quatre en croyant qu’il s’agit là d’une vérité qui vaut la peine de se battre pour elle.

Mais la vérité, qu’est-ce sinon un consensus social ? Même en sciences, les théorèmes ne valent que si la communauté s’y accorde. Et dans cette communauté, un Alain Connes ne vaut pas un prof du secondaire. Ainsi en est-il en politique. La vérité est un consensus social, et dans la société, un Emmanuel ne vaut pas un rien. C’est difficile à admettre quand on prend notre devise à contre sens, mais c’est ainsi. Deux et deux font ce qu’Emmanuel décide. Il ne s’agit pas de dire que ça fait 5, ni 4, mais peut être 12 ou 3. Ce qui compte, c’est le consensus obtenu par le débat.

Quand Emmanuel Macron débat avec Bernard Arnault, ils peuvent décider démocratiquement que ça fait 13. Qui serions-nous pour remettre ça en question ? Il nous faut l’accepter en en attendre les bénéfices qui ne tarderont pas.

Aujourd’hui j’ai enfin compris, comme une épiphanie, ce qu’est vraiment la démocratie.

Aujourd’hui j’attends de savoir demain ce que seront 2 et 2.

Dès lundi, je retourne à des activités productives émancipatrices. J’irai quand même sur des piquets, des blocages ou des manifestations pour faire éclater cette vérité aux oreilles d’un peuple manipulé par des populistes de bas étage ou des syndicalistes corporatistes.

J’irai autant que possible. Je m’épuiserai à leur porter cette parole. Je me damnerai à ce qu’ils rejoignent le camp de la raison : 2 et 2 font ce que le capital décide.