Le contenu de cet article n'engage que son auteur : Régis Portalez
Il y aura des élections dans les jours qui viennent, nous devrons à tout prix les gagner pour qu'il n'y en ai plus jamais d'autres

La caduta degli dei

« Il y aura des élections dans les jours qui viennent, nous devrons à tout prix les gagner pour qu’il n’y en ai plus jamais d’autres. » Les damnés, Visconti

. mise en garde supplémentaire : à quelques semaines des élections, ce texte ne saurait représenter l’opinion de l’association ni l’engager aucunement. Il n’engage que son auteur : Régis Portalez

Pour Frédéric Lordon (et Stefano Palombarini), deux options pouvaient se présenter en 2022. L’option faible : pas de front républicain du tout face au front national. L’option forte : le front républicain se reconstitue, mais contre Mélenchon. Il semble qu’une fois de plus Lordon ait eu raison, et même raison deux fois, puisque les deux options se réalisent simultanément.

En 2017, il fallait voter Macron pour faire barrage (dès le premier tour s’il vous plaît) à l’extrème droite. Cette fois, remarquez qu’il n’en est plus question. Marine Le Pen et le Front National bénéficient d’une complaisance qui laisse pantois. Rappelons quelques éléments. D’abord il y a les fondamentaux habituels : programme vide, enfin plus exactement programme économique de Macron avec le fond raciste. Mais il y a aussi du neuf. Axel Lousteau, un proche de Marine Le Pen, a payé la caution d’extremistes violents accusés de torture. Un de ces accusés, le désormais fameux Loïk Le Priol, assassine ensuite par balles le rugbyman Federico Martín Aramburú qui avait eu la mauvaise idée de s’interposer lors d’une agression raciste. Le media a révélé le financement trouble (c’est le moins qu’on puisse dire) du parti par une banque Kazakhe. Ce même media a ensuite subi des intimidations (intrusion dans leurs locaux). Le journaliste ayant enquêté sur ces fonds (Thomas Dietriech), a également subi une intrusion à son domicile. Voilà qui devrait être du pain béni pour des journalistes et des politiciens soucieux de faire barrage. Mais rien…

Le scenario est bien rôdé et il faut que rien ne vienne le contrecarrer. Macron profite de sa stature présidentielle, c’est-à-dire du réflexe légitimiste exacerbé par la peur (Covid, Russie, …), pendant que Marine Le Pen lui assure de gagner au second tour. Par chance, chacun des deux dispose de réservoirs de voix, étrangement constitués dès avant le premier tour. D’un côté, Macron siphonne le vote Pécresse pendant que les élus LR trahissent leur parti et leur candidate, poussés par Nicolas Sarkozy, et rejoignent Macron, comme avait fait le PS cinq ans plus tôt. Pour cela, il n’y a pas grand chose à faire, chaque apparition de Pécresse dans l’espace public ressemble à un numéro du gendarme de Guignol.

Le Pen, de son côté, dispose de Zemmour. C’est-à-dire d’une proposition politique authentiquement fasciste, raciste et qui ne s’en cache même pas. Celui-ci a le mérite d’ouvrir en très grand la fenêtre d’Overton jusqu’à en faire sauter les gonds. A côté, Le Pen passerait pour raisonnable, surtout depuis qu’elle a abandonné la sortie de l’euro. On sait maintenant officiellement qu’elle sera une parfaite alliée du capital et celui-ci sait très bien qu’avec elle rien ne changera pour lui et ses intérêts. Un Macron “père de la Nation”, une Le Pen raisonnable, mais dont on pourra dire que finalement elle ne l’est pas du tout dès 20h01 le soir du premier tour, voilà le tableau rếvé de la démocratie bourgeoise. Zemmour sert donc d’épouvantail, à la fois pour présenter Macron comme un brave démocrate et pour faire relativiser le vote Le Pen et s’assurer de l’avoir au second tour.

Evidemment, tout ce que le petit Paris compte d’éditorialistes décérébrés, de créatures de plateaux, de “journalistes” dont la bonne conscience s’arrête à leur intérêt de classe, de politiciens véreux se rêvant élus et d’assistants ineptes se voyant conseillers joue le jeu de façon parfaitement ostentatoire. Quand Zemmour parle de “grand remplacement”, on s’indigne à peine. Quand il parle de “remigration” et d’un ministère dédié, on trouve ça un peu fort (même s’il s’agit en fait de déporter des concitoyens). Quand il en parle devant des enfants, là c’est un peu trop, mais pas assez pour pousser plus loin la réflexion. Quand il se ridiculise sur le réchauffement climatique – enjeu majeur s’il en est – ou sur les étudiants à la soupe populaire, les machines à abrutissement politique que sont les émissions à la Ruquier tournent ça à la rigolade. Pourtant c’est à mi-chemin entre tragique et terrifiant. C’est qu’il ne s’agit pas de démonter ses thèses, il s’agit de le ridiculiser, c’est-à-dire de dépolitiser la personne mais de garder ses idées comme garantes de l’ouverture de Le Pen.

Tout est bon pour sauver le duel attendu entre le système bourgeois incarné par Macron et son “antisystème fonctionnelle”. Préserver, non pas Zemmour, mais les idées de Zemmour. Taper sur Zemmour, non pas politiquement (on risquerait de taper aussi sur Le Pen), mais sur sa personne pour permettre les reports de voix vers Le Pen. Défendre la “démocratie” dont Macron est le seul rempart face aux extrêmes. Extrêmes dont on s’assure par ailleurs qu’ils arrivent au second tour pour permettre la victoire de la “démocratie”.

Enfin il y a quand même extrêmes et extrêmes. Même si dans le discours hégémonique les extrêmes se touchent (dès qu’ils en ont l’occasion), l’extrême gauche (dans laquelle le capital classe Mélenchon — taxer les riches ? Quelle idée saugrenue) ce n’est pas l’extrême droite. On a pu voir que l’option “faible” – pas de front républicain du tout – se réalise totalement en ce qui concerne l’extrême droite. Mais l’option “forte” – un front républicain se reforme contre Mélenchon – se réalise également, et avant même qu’il ait une chance sérieuse d’accéder au second tour et alors qu’il ne représente pas franchement une position extrême. Pour François Hollande, “Mélenchon représente un danger pour la démocratie”. Ce pauvre Jean-Luc ne peut pas sortir avec des chaussettes dépareillées sans que tout l’appareil médiatique ne l’accuse de complaisance avec Chavez, avec l’islamisme, avec Poutine, demain ce sera avec Staline ou la Corée du Nord.

Un front unanime s’est formé. Dès qu’ils ont le temps entre un silence sur Le Pen et une rigolade sur Zemmour, les résidus informes du PS incarnés Anne Hildago ou le mégalomane très atlantiste Yannick Jadot chantent en chœur avec tous les macronistes que le danger est là, que Mélenchon c’est Poutine à nos portes, c’est les rouges au couteau entre les dents. C’est la déstabilisation de la “démocratie” (celle qui éborgne, gouverne par conseils de défense et précarise avant de recommander de traverser la rue). Et il n’est pas au second tour, à peine à 15%. Imaginez quel concert de chats crevés on entendrait s’il passait devant Le Pen. Alors ils feront tout pour que ça n’arrive pas. Et si ça arrive (contre qui que ce soit), ce sera l’union sacrée.

Sous nos yeux se déroulent les dernières convulsions des blocs sociaux issus de l’après-guerre. Le bloc bourgeois a absorbé le PS. Le bloc de droite absorbera LR sans perdre le PS, définitivement radicalisé bourgeois. L’enjeu est d’empêcher la reconstitution d’un bloc de gauche et de finir de provoquer son effondrement, comme cela a déjà eu lieu en Italie ou à d’autres périodes historiques. Comme dans Les Damnés, de Visconti, tous les murs tombent et tous les crimes deviennent possibles. Les gens, même les plus honnêtes, s’ils ne tiennent pas une ligne politique de fer, finiront de compromission en compromission par se faire manger par la gangrène. Dans le film, rien n’y résiste – sinon par la mort – soyons certains que le scenario est universel. Rien ne résiste à la simplicité d’une proposition violente quand il s’agit de préserver des intérêts vitaux bien réels (le capital) ou fantasmés (les valeurs de l’Europe) servant à faire avaler aux pauvres les premiers, contre leur propre intérêt.

En laissant la porte ouverte au pire pour préserver le capital et les intérêts bourgeois, ce bloc de droite ne pourra que continuer de céder toujours plus. Les mêmes qui, il n’y a pas cinq ans hurlaient au retour des “nationalismes” se retrouvent à chanter la force de l’Europe et de ses “valeurs”. Les unes du Point ou de l’Express nous mettent en garde contre ceux qui en veulent à l’Occident. Ils reprennent un discours nationaliste pour défendre une structure de capitalisme institué : l’Union Européenne. En politique intérieure, il ne leur restera que la force pour réprimer et la violence comme discours politique. L’Union Européenne, qui ira forcément vers plus d’intégration et de fédéralisme pour “peser”, risque bien de se retrouver en capitalisme constitué traversé de forces violentes. C’est-à-dire précisément un ennemi mortel de la Démocratie (la vraie). Pour les deux mois à venir, la solution est à l’isoloir, pour la suite elle sera dans l’acrostiche.