Le contenu de cet article n'engage que son auteur : Régis Portalez

Cap au large

Chahutés d’incohérences en mensonges, de peurs en angoisses, de nullités en trahisons, nous ne savons plus où donner de la tête. Qu’on signe des pétitions (comme pour ADP), et nous sommes bons pour la contre-propagande et l’oubli institutionnel. Qu’on manifeste, et on est bons pour la BRAV. Qu’on souffre d’une pandémie, et on est bons pour à la fois les morts et les restrictions de libertés.

Il faut s’y rendre : toutes les stratégies de lutte menées au sein des institutions sont devenues inopérantes. Le pouvoir écrase les manifestations, enferme les dissidents, poursuit les lanceurs d’alerte, verrouille l’espace de discussion, restreint les libertés publiques.

Evidemment, ils ne s’arrêteront pas là, et le cliquet continuera de cliquer. A chaque attentat, à chaque fait divers, à chaque manifestation qui dégénère, le pouvoir continuera de faire glisser le curseur vers un modèle poutino-chinois, voire plus loin, car on n’ira jamais assez loin en cette matière.

Leur stratégie – peut-on vraiment parler de stratégie ? – tient en deux mots : répression et dépression. Nous avons bien vu la répression policière s’abattant sur les manifestants contre la loi travail, sur les grévistes contre la réforme des retraites, sur ce dernier premier mai en passant évidemment par les Gilets Jaunes et leurs dizaines de mutilés. Celle-ci recouvre aussi un aspect judiciaire, Macron ressuscitant les lettres de cachet contre les gilets jaunes. Elle a aussi un aspect médiatique insuffisamment analysé : une sorte de répression médiatique, où les grévistes passent pour des profiteurs, les gilets jaunes pour des violents, les lanceurs d’alerte pour des instables, les black bloc pour des brutes sans foi ni loi.

D’abord quasi indolore, la réponse répressive monte graduellement en intensité à mesure que la menace monte en crédibilité pour l’ordre établi : l’ordre propriétaire. Qu’on demande à négocier, et rien ne se passera d’autre que du silence ou des commissions fantoches. Qu’on demande des salaires ou des lois, et on aura droit aux flics. Qu’on demande de la démocratie et de la justice, et là ça se règlera au glaive.

Observable, la répression a au moins le mérite de pouvoir susciter l’indignation quand elle y va trop fort (Cédric, Michel, Manu, Steve, Jérôme, …) et de permettre d’imaginer des stratégies d’évitement qui vont de la résignation à la contre-attaque à la manière black bloc ou écolo-radicale. Au contraire, ce qu’on observe depuis le début de la pandémie – très particulièrement en France – est une sur-épidémie psychiatrique et particulièrement dépressive. Les étudiants se suicident, le malaise au travail se répand et ce n’est qu’une question de temps avant qu’on voie exploser la consommation de psychotropes.

Radicalement efficace comme moyen de contrôle populaire (en témoigne la situation grecque), la dépression permet d’abrutir les gens en les laissant au fond du canapé. Sans que cela soit nécessairement pensé explicitement, je ne peux pas imaginer que la prorogation infinie du couvre-feu soit parfaitement innocente. Sans efficacité dans la lutte contre l’épidémie, cette mesure a au moins le mérite d’envoyer les gens chez leur psychiatre plutôt que dans les manifestations ou au volant d’un fenwick ou aux manettes d’une pelleteuse.

Au fond du trou, on a tendance à attendre un deus ex machina qui nous en sortirait. Et on cherche alors la force là où on pense qu’elle se trouve. Cela permet d’attendre et de se confier à autre chose qui ferait nécessairement mieux. Tout à notre désir – devenu quasi impuissant – de chasser un pouvoir qui nous révulse, la tentation est grande de céder au mono-idéisme : chasser Macron à tout prix, n’importe comment et par suite avec n’importe qui.

Gens d’armes, généraux, amiraux qui écrivent n’importe quoi peuvent alors paraître comme un recours acceptable. Ils proposent de chasser Macron, pourquoi ne pas les suivre, après tout ils sont forts ? C’est là que ce mono-idéisme là cède à toutes les facilités propres à l’état dépressif de la Nation. Cap au pire, accélérons, mais au moins finissons-en.

Et puis tant pis si leur pensée n’a pas l’ombre d’un début de consistance. Tant pis s’ils ne parlent pas de structures, d’UE, d’OTAN, d’oligarchie, bref de toutes les racines des maux qui frappent la France. Tant pis si les conséquences d’une intervention armée (qui n’a pas aujourd’hui le début d’une once de crédibilité) se mesureraient en situation à la syrienne ou à l’espagnole. Tant pis si aucune force civile ne peut arrêter un char, descendre un Rafale ou couler une frégate. On irait parce qu’il ne nous reste plus que ça. Cette force là est trop forte et elle doit rester là où elle est : en caserne. A la vérité il nous reste bien plus : nous autres. C’est à nous autres de nous relever, d’aller chez le psychiatre s’il le faut mais de rester debout. C’est à nous qu’appartient la lutte et c’est à nous de la gagner, ensemble. Seuls, nous sommes perdus et rien ne viendra nous sauver, ni les urnes ni l’armée. C’est unis qu’il faut chasser Macron, c’est ensemble qu’il faut imaginer et conquérir des lendemains qui chantent : une vie belle et heureuse.