Le contenu de cet article n'engage que son auteur : Régis Portalez
hydre de lerne

HORS CAPITAL

Le capitalisme, régime hégémonique, impose son rapport social, sa langue, ses propres discussions. On ne peut plus se contenter de répliquer dans le cadre, il faut en sortir et mettre d’une part un grand coup de raquette dans la machine à balles, d’autre par refuser sa dialectique.

Prenons quelques « débats » récents. Tous ont montré les mêmes choses : l’hégémonie du capital, la servilité des gouvernants, celle des media, et surtout notre propre faiblesse.

Des comptes twitter et Instagram se sont mis à relater les jolies aventures carbonées de nos chers milliardaires. La « gauche », sitôt le mouvement pris, s’est empressée de demander leur interdiction. Ce qui a fait réagir ceux qui nous demandent de pisser sous la douche : ce genre de petit geste ne sert à rien. Et les media de relayer cette polémique stérile. En effet, ces petits gestes ne servent à rien. Pisser sous la douche, interdire les jets, c’est comme économiser le blé ou interdire les carrosses en 1789. Ça ne sert à rien.

Ce qu’il faut interdire, c’est le régime social qui permet ce genre de choses. Ce qu’il faut interdire, ce ne sont pas les jets, ce sont les riches, et plus largement les structures (imposées par eux) qui permettent leur régime d’accaparation. Poser proprement la question des jets commencerait par poser la question de « pourquoi les jets ». Mais cette démarche intellectuelle triviale semble absente.

De même en est-il des superprofits. C’est quoi un « superprofit » ? Bruno Lemaire et Geoffroy Roux de Bézieux, dont on sait tout le bien que je pense d’eux, posent utilement la question et nous ramènent à la raison. Est-ce du taux de marge ? Du bénéfice par action ? Une quantité de bénéfice net ? Bruno Lemaire explicite cette pensée limpide : « les entreprises font du profit ». Eh bien oui, elles font du profit.

Alors, même dans la pensée la plus social-démocrate du monde, il reste deux sortes de profits : les illégitimes qu’il faut saisir et les légitimes. Dans la première rentrent les profiteurs de guerre. Dans la deuxième, on ne sait pas. Cette frontière est aussi difficile à définir que celle séparant « superprofits » de « profits ». La réalité c’est que tous les « profits » sont une prédation et tous les actionnaires des prédateurs.

A quoi servent ces gens, gros actionnaires assis sur leur cul à envoyer des mails à leur banque d’affaire, petits actionnaires profitant du système en laissant leur banque se gaver de commission ? A quoi servent tous ces intermédiaires, ces salariés, sinon à perpétuer un régime d’exploitation d’une nature jamais vue dans l’histoire ?

Les petits actionnaires sont au 21ème siècle (mais à la puissance 10) ce que les meuniers étaient au 15ème : un seigneur leur accorde un droit d’exploitation en échange d’une rente et d’une classe intermédiaire assurant la paix sociale. Les grands actionnaires sont les nouveaux seigneurs. Les banques n’ont, elles, pas changé de nature : des instruments au service unique des puissants.

Quand on se laisse enfermer dans le débat des « superprofits », dans celui des « jets privés », on en oublie le régime qui les permet et garantit la destruction de l’écosystème : le capitalisme. Ce ne sont pas les jets qui détruisent le climat : ce sont les gens à l’intérieur. Ce ne sont pas les superprofits qui sont scandaleux, c’est la prédation actionnariale, la prédation capitaliste.

Comme l’a montré magnifiquement l’œuvre de Sandra Lucbert, la domination capitaliste s’étend jusqu’à la langue. Celle-ci est façonnée par les dominants qui s’en servent pour imposer leur façon de penser, leur cadre. Il est aujourd’hui infiniment difficile d’expliquer que le capitalisme est une prédation alors que c’est une évidence : la faute à la langue, aux flics, aux procureurs, aux juges, aux media. La faute à tout le système de ruissellement qui rémunère la servilité. Soyez servile, vous aurez tribune, vous aurez promotion, vous aurez prix.

C’est de cela qu’il faut se débarrasser, parce que c’est cela qui nous conduit (et l’écosystème avec nous) à notre perte. Les jets ne volent pas pour eux même. Ils volent au service d’autres. Les superprofits ne se font pas pour eux-mêmes, ils se font au service d’autres. De gens qui profitent de la guerre, des sécheresses, des inondations, des pénuries. Tant que ce système perdurera, des gens profiteront de ses crises. Tant que ce système perdurera, il nous imposera ses « débats » vides de politique, son « art » dépolitisé, sa science-économique-vérité.

Il faut en sortir, il faut se mettre à penser « hors capital », refuser la stérilité de leur idéologie, refuser leur domination, leur façon de jouer avec nous.

Il faut les chasser.