Le contenu de cet article n'engage que son auteur : Régis Portalez

De la rage à la joie

Les choses vont vite en ce moment, assurément, trop pour qu’on suive, souvent. C’est une des caractéristiques des – potentiels – moments historiques. Qui a vu venir la décapitation au couteau du gouverneur de la Bastille ? Qui a vu venir les Gilets Jaunes ? Seulement des menteurs. Les choses se précipitent à toute vitesse quand en réalité elles sont déjà finies. Chateaubriand (pas vraiment un fameux gauchiste), disait déjà, « en 1789, la Révolution était déjà finie ». Le conventionnel des Misérables disait : « 93 ! J’attendais ce mot-là. Un nuage s’est formé pendant quinze cents ans. Au bout de quinze siècles, il a crevé. Vous faites le procès au coup de tonnerre. »
Voilà, peut-être, un coup de tonnerre. A coup sûr un phénomène électromagnétique

On se rassure en haut. Tout va bien. Mais ça c’est seulement tout en haut. Parce que même chez France Info, ça tremble. Ca documente les « violences policières » (inimaginable pendant les Gilets Jaunes, sans parler de 2005 ou d’avant). Comme toujours, les civilisés barbares (encore Victor), tremblent du genou et ne savent pas encore à quel point de violence il leur faudra pousser pour conserver leurs acquis. Des membres de prolétaires ? S’assoir sur la constitution ? Sans doute. Mitrailleuse ? Ils l’ont déjà fait (en 1871), ils le referont sans sourciller quand le temps viendra. Ils trouveront sans nul doute les ressources de faire ce qu’ils ont déjà fait. Thermidor, Commune, Chili, Nicaragua, etc.
Alors et nous ?
Chez nous, la rage est en train d’exploser, comme si l’on on nous privait d’une chose naturelle. Il faut que ça sorte, certes, mais déjà on sent l’ailleurs, la joie de l’abandon des structures oppressives

La pertinence d’un mouvement se mesure à la violence de la réaction du pouvoir.
C’est une maxime que j’ai coutume de sortir depuis les Gilets Jaunes. A l’époque, quelle violence ! Pendant les retraites 2019, quelle violence ! A cette aune, il est évident que le mouvement en cours est des plus pertinent. Marin pécheur ruisselant de sang, arrestations arbitraires, garde à vue prolongées, touristes nassés, SDF traité de « sac à merde », « ramasse tes couilles enculé » (lancé par un « ouvrier de la sécurité »), lacrymos dans le métro, matraques sur des jeunes gens, roues de motos sur des jambes d’étudiants, tortures sexistes à base de « doigts dans la chatte », etc. La pertinence est claire. On aura du mal à être plus pertinents.

La puissance de ce mouvement se mesure à sa créativité.
Autre maxime que j’ai forgée à l’époque. Eh bien à nouveau on y est. Tout le monde en grève, sabotages, tracteurs anti canon à eau, pose silencieuse du ballet de lyon, manitou à barricades, manifs sauvages, blocages, éboueurs, tout qui crame… Beaucoup de choses apparaissent, qu’on aurait pu imaginer, voire qu’on a déjà vues, mais avec une ardeur nouvelle. Et tant de neuf ! Quand est-ce qu’on a vu les étudiants avec les éboueurs ? Les syndicalistes de l’énergie avec les étudiants ? Les « bougnoules » et les « bamboulas » avec les « blancos » ? (Dédicace à Valls et Ndiaye) Les musulmans avec les cathos et les athées ? (dédicace haria) Jamais puisque jamais l’histoire ne se reproduit et qu’elle est ontologiquement « neuve ». Le social est une chose mouvante, les formes révolutionnaires aussi. 1789, la commune, 1917 ne reviendront pas. Autre chose viendra. Et vient peut-être.

Y en-a-t-il qui ne sont pas là ? Je ne compte pas mais j’ai vu tout le monde. Des lycéennes voilées de noir, des ouvriers, des ingénieurs, des profs, des chômeurs, des étudiants, des chercheurs, tout le monde est là sinon les barbares du 7ème arrondissement. Tout le monde est là sauf les ignobles bourgeois versaillais, prêts à trahir pour garder leur petit tas de fric dégueulasse, sauf les femmes dégueulasses de ces bourgeois dégueulasses. En 1912, Rosa Luxemburg disait « Et en 1871, à Paris, lorsque la Commune héroïque des travailleurs a été défaite par les mitrailleuses, les femmes bourgeoises déchaînées ont dépassé en bestialité leurs hommes dans leur revanche sanglante contre le prolétariat vaincu. ». Pas plus tard qu’hier, ce genre de personne disait aux flics « noyez les, tuez-les, jetez les dans la Seine ». Répétition, non pas de l’histoire, mais des structures sociales.

Partout ça bouge, partout. C’est maintenant qu’il faut agir. Fin du mois, fin de carrière, fin du monde. Tout à la même cause : ces bourgeois barbares prêts à faire brûler le monde pour vivre deux ans de plus en croisière Costa ou ces raclures pleines de fric qui tiennent à leur yacht. Prêts à faire fusiller pour profiter de leur retraite, de leur loyer, de leur rente. Nous ne voulons pas de ça. Nous voulons la liberté, l’égalité, la fraternité.

On me reproche parfois l’utilisation de ces magnifiques mots. Pourtant qu’ils sont beaux ! Quelle liberté sans égalité ? Quelle égalité sans fraternité ? Fraternité entendue au sens immense qu’on peut lui donner : internationalisme, solidarité, communauté, autonomie. Fraternité avec les peuples libres ! Partout on veut des LIP. De la grève générale, de la reprise en main de l’outil de production. Partout il faut sortir de l’asservissement du capital. Pourtant seuls ici on ne pourra pas. Parce qu’on pourra renverser tout ce qu’on voudra ici, si nous sommes tout seuls, nous tiendrons peu. Alors camarades marocains, chiliens, ivoiriens, etc : nous essayons un peu, vous essayez aussi. Il faut nous soutenir face aux empires, aux tyrannies, à l’empire du capital. Vivement demain !

Pour finir : quel sens à l’acrostiche ? Il me fallait un mot avec deux L. Et un joli mot. Et j’ai deux enfants petits qui adorent les sucettes. La révolution, finalement, ce sont des grands yeux dans lesquels on se noie. Une sucette au miel que papa ne donne jamais et qui finit trop vite. Le pouvoir, c’est le gros porc vendeur d’enfants de Pinocchio, c’est l’ordure de renard menteur. Sa tentative et son espoir, c’est la naïveté d’une petite créature en bois qui a bien besoin de son criquet. L’île aux enfants où l’on se perd, c’est le pandemonium. Pinocchio, c’est nous, tout mignons, crédules et gentils.
Et Gepetto lui, n’existe pas.
Les sucettes, elles, existent ! C’est le bonheur qu’on attend pour le dimanche quand on a 5 ans. Donnons-nous la nôtre.
Nous sommes bientôt maitres.
Devenons de vrais petits garçons.
De la rage, faisons de la joie.

Il est temps de goûter
Au délicat goût sucré de la liberté