Se protéger, et protéger les autres.

Voilà une phrase que l’on entend partout, jusqu’à la nausée parfois (selon la personne qui la prononce), une expression concise et élégante qui d’un coup, d’un seul, nous charge d’une lourde responsabilité. Je ne veux pas ici discuter l’intérêt ou non de la vaccination obligatoire et autre passe sanitaire. Je ne tirerai pas à boulets rouges sur le gouvernement. Au contraire, je vais me faire son partisan, coiffer ma casquette de macroniste convaincu, et reprendre son argument d’une implacable logique. « Se faire vacciner, c’est se protéger, et protéger les autres. » C’est vrai, factuellement vrai. La vaccination est un moyen extrêmement efficace, probablement le plus efficace, pour se prémunir d’une maladie à l’échelle individuelle, et l’éradiquer en bloquant sa transmission à l’échelle de la société. Il s’agit là d’une contrainte, c’est vrai, d’un renoncement à une part de notre liberté individuelle, indéniablement. Mais cette contrainte est acceptable car elle permet de protéger l’ensemble de la société, et constitue un gain de liberté pour la collectivité, en particulier par toutes ces personnes qui ne peuvent tout simplement pas être vaccinées.

C’est tellement vrai que cet argument implique naturellement d’offrir la vaccination à l’ensemble de l’Humanité. Autrement, impossible d’éradiquer ce virus, qui continuera de se propager, de muter. D’un point de vue français, quand bien même une partie suffisante de la population française serait vaccinée, cela n’empêchera pas le virus de demeurer un danger : au mieux pour les personnes qui ne peuvent être vaccinées, au pire pour l’ensemble de la population si la mutation offre une résistance au vaccin initial. Cet argument plaide donc en faveur d’une levée des droits de propriété sur les vaccins, et d’une distribution large et à prix coûtant des vaccins. Défendre la vaccination pour « se protéger et protéger les autres » à l’échelle nationale et s’opposer à la levée de ces droits est tout à la fois idiot et injustifiable d’un point de vue moral, et totalement contradictoire d’une point de vue logique. En tant que fidèle partisan du gouvernement, je ne peux croire que la logique macronienne soit défaillante.

Cet argument, qui nous met face à un défi planétaire et sublime notre responsabilité tant individuelle que collective est extrêmement fort. Et la logique pure qu’il déploie ne peut que nous amener à l’utiliser pour d’autres défis globaux. Alors que le réchauffement climatique met en péril des millions de personnes à court terme, et l’Humanité même à moyen terme (pour ne pas évoquer l’ensemble des autres êtres vivants, je reste un macroniste convaincu…), limiter drastiquement les émissions de CO2 c’est bien se protéger, et protéger les autres. Là aussi, cela représentera une contrainte, un renoncement à une part de notre liberté : fini les week-ends aux Baléares en avion, exit le renouvellement de mon SUV tous les huit ans, terminé la 5G, l’extension des data center et l’abonnement Netflix (désolé pour les exemples-clichés, mais en bon macroniste, je ne peux que m’abstenir d’évoquer les yachts et les jets privés). Pour être conséquent, le gouvernement ne peut que prendre les mesures en ce sens. Après le contrôle du passe sanitaire par les restaurateurs, j’attends avec impatience celui du passeport, pour s’assurer qu’aucun voyage en avion n’a été effectué dans l’année ! Tout comme le contrôle par les employeurs du moyen utilisé pour se rendre au travail. « En voiture, alors que le bus ou le vélo étaient envisageables ? Désolé monsieur, votre CDI est suspendu. »

Enfin, et malgré ma foi en la Macronie, je crois bien que pour se protéger, et protéger les autres, il va falloir rompre avec le capitalisme… Certes il s’agit d’une contrainte, essentiellement pour une certaine frange de la population (mais une frange considérablement plus restreinte que pour les deux exemples évoqués au dessus !). Mais elle est totalement justifiée par le fait qu’elle permettra d’éradiquer le chantage à l’emploi et donc la précarité. Eradiquer. Comme le virus. Porter des masques, c’était un pis-aller en l’absence de vaccin, une parade temporaire pour que le système (en particulier hospitalier) ne s’effondre pas. Mais les masques ne font pas disparaitre le virus. Tout comme les sempiternels plans de relance, incitations fiscales et autres bonus-malus ne sont, pour un système économique qui broie depuis toujours les corps et les esprits, que des rustines pour l’empêcher d’imploser. Mais ces rustines ne font pas disparaître le « virus » (par ailleurs étroitement relié au danger climatique évoqué au dessus). Pour se protéger et protéger les autres, notre Président infaillible ne peut que décréter la fin du capitalisme. J’ai foi en lui, son argument est imparable. Et pour légitimer sa décision, j’attends avec impatience la constitution de la « convention citoyenne sur le capitalisme ».

Tout cramer

Nous voilà de nouveau enfermés dans un choix binaire : être pour le passe sanitaire ou contre le contrôle épidémique. Cette absurdité de plus nous est évidemment imposée par Macron et son gouvernement : le passe sanitaire, c’est la panacée alors si vous n’êtes pas pour, c’est que vous êtes un fichu complotiste réfractaire. Voire un antisémite.

Pourtant la réalité est plus nuancée. Quelques anti passe sont antivaccins, d’autres sont contre la société de contrôle, certains sont de droite, d’autres de gauche. Bref un peu de tout, et là-dedans quelques cinglés, quelques horribles racistes, comme partout.
Quelques pro passe sont d’horribles macronnards, d’autres pensent que la mesure est acceptable parce qu’elle est temporaire, d’autres l’acceptent par résignation (il faut bien faire quelque chose). Quid de la démocratie là dedans ? Elle n’existe pas, les gilets jaunes ou les communards nous l’ont bien prouvé, elle n’existe que lorsqu’il s’agit de faire respecter l’ordre propriétaire.

Un pouvoir ça n’aime pas la nuance, surtout un Macron absolutiste. Ça aime isoler les gens pour les contrôler. Et pas pour rien. Pour garder son pouvoir ou le faire garder à son vrai maître : l’argent. 

Souvenons-nous de 1984 et de son commentaire de Noam Chomsky « Le truc, c’est de ne pas rester isolé. Si on est isolé, comme Winston Smith dans 1984, alors tôt ou tard on lâche prise, comme il le fait à la fin. Voilà en un mot ce que racontait le roman d’Orwell. En fait, toute l’histoire du contrôle sur le peuple se résume à cela : isoler les gens des uns des autres, parce que si on peut les maintenir isolés assez longtemps, on peut leur faire croire n’importe quoi. »

Pour cet objectif, rien de mieux que les couper en deux : les gentils commerçants contre les méchants gilets jaunes, ceux qui réussissent contre ceux qui qui ne sont rien, les gentils manifestants contre les méchants casseurs, les gentils qui veulent du passe contre les méchants réfractaires antivaccins.

Ensuite il n’y a plus qu’à laisser faire la machine.

D’une part les médias vont rentrer à fond dans cette logique à coup de micro-trottoir et d’experts de plateau à la Michel Cymes.
D’autre part, face à la communication de plus en plus brouillonne du gouvernement (à la fois par incompétence et à dessein, sans qu’on ne sache jamais où est la frontière) les réseaux sociaux vont s’enflammer pendant que les administrations vont se noyer sous les directives et déclarations contradictoires.

La polémique va enfler et s’auto entretenir, créant autant de lignes de fractures chez l’opposition qu’elle crée de résignation chez la majorité : les gilets jaunes, oui, mais pas les Black bloc ; les anti passe oui, mais pas les antivaccins.
Enfin, les brevets en pureté idéologique caractérisant le pandémonium vont entrer en jeu pour finir de faire éclater le front. Impossible de manifester avec l’extrême droite (laquelle ?). Impossible de manifester avec l’extrême gauche (laquelle ?). Untel est pour ? Je suis donc contre.
Il existe pourtant une ligne politique viable : être pour la vaccination obligatoire et contre le passe sanitaire. C’est même la seule ligne tenable. Le virus tue ET macron s’en sert pour imposer un modèle autoritaire à la chinoise qui n’a rien de sanitaire. D’autres pays en font autant ? Mêmes causes, mêmes effets. Mais plus rien de la raison n’atteint beaucoup de gens, ils sont sidérés entre haine de Macron, peur du virus, peur du vaccin, angoisse économique, dépression structurelle et tremblements militants pour les plus politisés. 
Même les plus grosses évidences ne feront pas réagir. Untel gifle Macron et se retrouve condamné à 18 mois de prison, dont 4 fermes avec mandat de dépôt, le tout en quelques jours ? Bien fait pour sa gueule, dirons certains, c’était un vilain d’extrême droite. D’autres en disaient autant d’Antoine Boudinet (c’était un vilain d’extrême gauche) ramassant une grenade avant que sa main explose. Les gerbes de sang, c’est comme les gerbes de prison, c’est joli de loin. Ça a son esthétique militante, on s’en réjouit, on s’en contente, c’est charmant. C’est comme le réchauffement climatique, ça brûle, c’est triste mais c’est beau. Mais impossible de voir le fond : elles viennent des structures qui elles, arrachent des mains, des pieds, mettent des gens en prison pour rien, détruisent des cœurs de boxeurs.

Ces structures ont des noms : ce sont celles qui nous gouvernent, en un mot le capitalisme. On pourrait le réduire à son expression libérale acceptable, un bon vieux fordisme avec actionnariat familial. Mais l’actionnariat familial accepterait-il le protectionnisme, les droits sociaux, les normes environnementales, et tout ce qui est nécessaire à une vraie démocratie écologique ? Non il nous chierait dans les bottes comme nous chie sur le nez le néolibéralisme (avec moins d’élégance il faut le reconnaitre). Le pouvoir est là : aux mains de l’argent, et l’argent ne se laissera d’autant moins faire qu’il a infiltré les classes intermédiaires via la capitalisation des retraites aux USA ou la participation en Allemagne.

Le changement à venir impose de changer complètement de modèle, nous disait déjà le rapport Meadows en 1972. Barbara Pompili ne dit pas autre chose mais avec beaucoup plus de mauvaise foi électorale. Pourtant changer de modèle suppose de changer la nature des structures, à savoir démolir le capitalisme.

Et si c’était nous tous qui étions les robots de Blade Runner ? On retire d’autres robots, on se bat pour le système alors que notre intérêt objectif est de le faire brûler. On gère des gens, on obéit à d’autres, on vit dans un système qui n’a plus le moindre sens mais on le fait pour continuer d’être. La planète brûle, la Sibérie, le Canada, la Turquie, l’Algérie, Madagascar, le Pakistan, la Californie, la Grèce, tout brûle. Tout crame pendant qu’on devise de nos responsabilités individuelles. Le Covid fait brûler l’économie et tue des gens par millions ? On discute de notre responsabilité individuelle pendant que Macron se lave les pieds au numéro 5.
La responsabilité de tout ça, des incendies, des morts du covid, des rivières sèches, etc, appartient aux ordures qui nous gouvernent et aux structures qui leur ordonnent de le faire.

Comment envisager une autre solution que tout brûler ? Tout cramer comme disent les anarchistes ?

La part du capitalisme dans la mort de l’écosystème est totale, leur part dans la souffrance sociale est absolue, ils se gavent de dividendes en niant les effets de leurs propres méfaits. Et on y croit. Enfin assez de gens y croient pour se retrouver liquidateurs d’un système qui en enrichit d’autres en nous faisant tous mourir. Brûler nos maitres, voila ce qui doit nous guider. Brûler l’actionnariat, brûler le capitalisme, brûler la finance, brûler les structures politiques, en un mot, tout cramer.
Rien d’autre ne pourra nous sauver. C’est eux ou nous : cramer le capitalisme ou tout regarder cramer.

Incendie

Sous les éclairs, on ne voit plus le monde. On est paralysés par la peur, irrationnelle, mais parfois bien réelle, de la fureur des éléments. Le vent, la pluie, la foudre se déchaînent et petite biquette n’a plus qu’à se réfugier sous un rocher en attendant que ça passe. On voit passer les choses et on en oublie presque de revenir à la raison : se réfugier. Pourquoi ne pas plutôt prévoir la maison de demain qui tiendra ?

Une semaine à peine après mon dernier article, je ne croyais pas voir les éléments se déchaîner si vilainement. Soutenir les Palestiniens ? c’est antisémite et c’est interdit, puis c’est réprimé. Critiquer l’institution policière, c’est être anti-flic. Et personne ou quasiment pour ramener l’ambiance au réel. Quelqu’un pour rappeler que bombarder un immeuble de médias internationaux c’est mal ? Un titre timide du monde. Quelqu’un pour rappeler la liste des violations du droit international par Israël ? Des antisémites et tribune ouverte à Manuel Valls, immonde fossoyeur de la République. Quelqu’un pour rappeler Michel Zecler, Jerôme Rodrigues, Manu, Cédric Chouviat, les ordres du 8 décembre ? Des anti-flics. La semaine passée aura fait le tri entre les naïfs qui croient encore vivre à l’époque du compromis, les rares attachés aux principes de la République et les ambitieux, traitres se croyant capable d’amadouer une force qu’il ne convient que de combattre.

Rares voix dans le désert qu’est devenue la politique française, nous plaidons la raison. La violence, d’où qu’elle vienne, a toujours tort. Et elle a d’autant plus tort quand elle vient du côté du pouvoir. S’en remettre à la force, c’est s’en remettre au pire. S’il faut parfois en arriver là pour contester, il ne faut jamais l’accepter des dominants. La violence qui vient d’en haut est une violence au carré. S’il est heureux que le peuple puisse s’insurger, parfois violemment, il n’est est jamais de même des factions armées. La police doit garantir la sûreté, rien d’autre. L’armée doit protéger l’intégrité du territoire et les intérêts nationaux à l’étranger, rien d’autre. Utiliser l’une ou l’autre (surtout l’autre) pour des intérêts politique est un crime.

Parfois, il faut essayer de savoir où l’on en est. Eh bien j’ai le malheureux sentiment qu’on est mal. Nous sommes sur la ligne de bascule. Soit on accepte de s’en remettre à ceux qui appellent au pire, soit on rassemble toute la force qui est en nous pour les chasser. Ils iront toujours plus loin dans le malheur. D’où que vienne le changement promis, s’il vient d’en haut il sera pour le pire. Si c’est la police, si c’est l’armée, si c’est quoi que ce soit qui vous promet un ordre qui viendrait seulement par l’application de la force, ce sera pour le pire. Le gouvernement par la force a un nom. Il prétend toujours être celui des meilleurs, mais il s’agit toujours de celui du pire.

Renfermés dans la dépression, qu’est ce qu’il nous reste face aux syndicats policiers, face au pouvoir du capital, face au pouvoir des médias, face au pouvoir de forces gagnées à des idées factieuses ? Nous en remettre à une portion minoritaire de cette élite au pouvoir qui voudrait en renverser la majorité ? Ou nous en remettre à la majorité populaire capable de chasser ces parasites tous ensemble pour les renouveler intégralement ?

Il est impossible de répondre à cette question pour vous. L’un des deux chemins est confortable. Mais il sera si douloureux. S’en remettre à dix ou vingt ans de domination d’une autre élite, c’est accepter le pire. L’autre est difficile et incertain. Il s’agit de tous les chasser en même temps. Pour cela il faut accepter les défaites, souffrir le pire et espérer le meilleur. Celui-ci viendra à condition de nous battre pour lui. La vie est si courte que le chemin de l’honneur vaudra toujours mieux que celui du confort.

Souvenons-nous de nos grands camarades résistants. Dès avant-guerre, certains avaient déjà choisi : souffrir honorablement ou vivre misérablement. Demain il ne s’agira sans doute pas de guerre, en tout cas pas sous la même forme, mais le choix qui s’offre à nous est le même : lutter dans la gloire ou vivre dans le déshonneur.

En quelques années, nous sommes passés du pitoyable au tragique. L’incendie à venir peut-être de deux natures : fasciste ou social. Pour qu’il soit l’un, il suffit de se laisser faire. Pour qu’il soit l’autre il faut se tenir droit, appeler tout le monde à la lutte et se tenir prêt. J’ai fait mon choix. Je veux la liberté, l’égalité, la fraternité, dans leur sens enfin accompli. Je ne veux ni militaires dans la rue, ni policiers juges, ni gouvernement corrompu. Je veux mon cœur réconcilié, des bras accueillants et de la musique le soir. Il en coûtera à tous ceux qui feront ce choix, mais au mieux nous auront la gloire, au pire nous aurons un honneur sauf : celui de nous êtres battus pour la justice.

CYRANO
Je crois qu’elle regarde…
Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là !- Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
Tiens, tiens ! -Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! -Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
et c’est…


ROXANE
C’est ?…


CYRANO
Mon panache.

Phénomènes électromagnétiques

Merveille de la nature, le ciel d’orage me fascine. Je pourrais le regarder toute la journée tant il est beau et tant je le crains. A mesure que les cumulonimbus montent dans l’atmosphère et que le sol comme le ciel se chargent d’électricité, les phénomènes les plus étranges se produisent. Des vents forts et tourbillonnants se lèvent puis cessent brutalement. Les hirondelles planent haut dans le ciel en mangeant les insectes excités par les champs électriques. Les abeilles se dépêchent de butiner avant la pluie. Au voisinage des pointes, en cas de grand orage, on peut même observer des feux de Saint-Elme annonciateurs de la foudre. Et puis c’est la douche, le tonnerre et les arbres arrachés pendant qu’on s’en inquiète au chaud d’une chambre sans électricité.

En élargissant la perspective au politique, le ciel de crise organique est tout aussi fascinant : « A l’étage du pouvoir, tout part en cacahuète ». Les vents forts et contraires se lèvent et cessent brutalement. De grands bruits sans effet en proviennent. Les nuages montent de plus en plus haut et deviennent de plus en plus noirs pendant que l’air lui-même change d’odeur sous l’effet de la moiteur qui gagne. En bas, on observe également des feux de Saint-Elme sur les pointes des corps politiques : black-bloc, tribunes échevelées, action écologique radicale.

Radicalité d’en bas complémentaire de la radicalité d’en haut : quand les différences de potentiel sont trop grandes, c’est l’éclair de la révolution. A la manière du ciel d’orage (le vrai), on ne peut pas savoir ni où ni quand la foudre frappera, si elle frappera ni sous quelle forme. L’observation des potentiels locaux, amplifiés par des effets de pointes, propagés par la conductivité accrue d’un air humide, ne donne pas assez d’indice sur l’état de l’ensemble. Si on peut les influencer à la marge, on sent juste venir les choses.

Valeurs actuelles, en publiant ces tribunes ne fait que montrer l’état politique de certaines pointes. L’absence de réaction du pouvoir, ou leur mollesse, montre pourtant qu’il n’y a là rien de menaçant pour eux. La décharge ne servirait qu’à rééquilibrer l’atmosphère, le plus à droite possible avant une élection qui serait difficile sans cette odeur dans l’air. A vrai dire, tout ceci sert surtout à signifier ce qui pourrait se passer dans le cas où des forces politiques arriveraient au pouvoir avec le malheur d’être jugées insatisfaisante par ces membres de corps armés.

En s’en remettant à ces olibrius, une partie du peuple semble avoir déjà oublié ce qui se passe quand on laisse carte blanche à des forces armées. Si bien qu’on en arrive à douter qu’il s’agisse des mêmes personnes. Étrangement sur Facebook, les negacovid semblent s’être massivement métamorphosés en soutiens aux généraux. Il n’y a qu’un pas pour en arriver à soupçonner des opérations menées et financées. Je ne le franchirai pas car même si c’était vrai, la responsabilité en reviendrait toujours au pouvoir. Si les gens gobent des balivernes (organisées ou non), c’est que c’est d’abord le pouvoir qui leur sert des balivernes (celles-ci bien organisées).

Il n’en reste pas moins que le climat orageux est là et que le vent commence à souffler fort. Contrairement au ciel d’orage, seul maitre du destin qu’il nous infligera, le climat de crise organique est partiellement sous notre contrôle. On peut essayer d’influencer les directions, de préparer les lendemains, d’augmenter la désirabilité d’un projet politique ou d’un autre.

La révolution devient notre horizon commun. Tout le monde commence à le sentir, même si beaucoup hésitent quant à la forme qu’elle devra prendre. Le pouvoir ne lâchera rien, ni au niveau de la France ni au niveau des institutions supranationales, sans un mouvement populaire macroscopique de niveau insurrectionnel en face de lui. Les Gilets Jaunes nous ont donné la mesure de ce qu’il fallait pour espérer changer les choses. En échouant aux portes de l’Élysée, ils ont gagné une bataille majeure : ils ont fait éclater à la face de la France que nous n’étions pas en démocratie. A partir de là, tout devient possible.

Le désir révolutionnaire, finalement, c’est préférer l’inconfort probable d’une transition difficile vers des lendemains heureux à la perpétuation d’un ordre rassurant mais qui devient de plus en plus intolérable. A mesure que la situation ira se dégradant (réforme de l’assurance chômage aidant), la crainte de la transition diminuera. Mais les gens ne bougent pas seulement par dégoût, ils bougent surtout par désir. A nous de proposer une alternative à ce monde finissant. A nous de la rendre suffisamment attirante, suffisamment stable, à nous de la diffuser dans la société dans son ensemble jusqu’à gagner son cœur.

Enfin, quand l’orage éclatera, tout sera à nouveau une question de République : sera-t-elle Sociale ou versaillaise.

Cap au large

Chahutés d’incohérences en mensonges, de peurs en angoisses, de nullités en trahisons, nous ne savons plus où donner de la tête. Qu’on signe des pétitions (comme pour ADP), et nous sommes bons pour la contre-propagande et l’oubli institutionnel. Qu’on manifeste, et on est bons pour la BRAV. Qu’on souffre d’une pandémie, et on est bons pour à la fois les morts et les restrictions de libertés.

Il faut s’y rendre : toutes les stratégies de lutte menées au sein des institutions sont devenues inopérantes. Le pouvoir écrase les manifestations, enferme les dissidents, poursuit les lanceurs d’alerte, verrouille l’espace de discussion, restreint les libertés publiques.

Evidemment, ils ne s’arrêteront pas là, et le cliquet continuera de cliquer. A chaque attentat, à chaque fait divers, à chaque manifestation qui dégénère, le pouvoir continuera de faire glisser le curseur vers un modèle poutino-chinois, voire plus loin, car on n’ira jamais assez loin en cette matière.

Leur stratégie – peut-on vraiment parler de stratégie ? – tient en deux mots : répression et dépression. Nous avons bien vu la répression policière s’abattant sur les manifestants contre la loi travail, sur les grévistes contre la réforme des retraites, sur ce dernier premier mai en passant évidemment par les Gilets Jaunes et leurs dizaines de mutilés. Celle-ci recouvre aussi un aspect judiciaire, Macron ressuscitant les lettres de cachet contre les gilets jaunes. Elle a aussi un aspect médiatique insuffisamment analysé : une sorte de répression médiatique, où les grévistes passent pour des profiteurs, les gilets jaunes pour des violents, les lanceurs d’alerte pour des instables, les black bloc pour des brutes sans foi ni loi.

D’abord quasi indolore, la réponse répressive monte graduellement en intensité à mesure que la menace monte en crédibilité pour l’ordre établi : l’ordre propriétaire. Qu’on demande à négocier, et rien ne se passera d’autre que du silence ou des commissions fantoches. Qu’on demande des salaires ou des lois, et on aura droit aux flics. Qu’on demande de la démocratie et de la justice, et là ça se règlera au glaive.

Observable, la répression a au moins le mérite de pouvoir susciter l’indignation quand elle y va trop fort (Cédric, Michel, Manu, Steve, Jérôme, …) et de permettre d’imaginer des stratégies d’évitement qui vont de la résignation à la contre-attaque à la manière black bloc ou écolo-radicale. Au contraire, ce qu’on observe depuis le début de la pandémie – très particulièrement en France – est une sur-épidémie psychiatrique et particulièrement dépressive. Les étudiants se suicident, le malaise au travail se répand et ce n’est qu’une question de temps avant qu’on voie exploser la consommation de psychotropes.

Radicalement efficace comme moyen de contrôle populaire (en témoigne la situation grecque), la dépression permet d’abrutir les gens en les laissant au fond du canapé. Sans que cela soit nécessairement pensé explicitement, je ne peux pas imaginer que la prorogation infinie du couvre-feu soit parfaitement innocente. Sans efficacité dans la lutte contre l’épidémie, cette mesure a au moins le mérite d’envoyer les gens chez leur psychiatre plutôt que dans les manifestations ou au volant d’un fenwick ou aux manettes d’une pelleteuse.

Au fond du trou, on a tendance à attendre un deus ex machina qui nous en sortirait. Et on cherche alors la force là où on pense qu’elle se trouve. Cela permet d’attendre et de se confier à autre chose qui ferait nécessairement mieux. Tout à notre désir – devenu quasi impuissant – de chasser un pouvoir qui nous révulse, la tentation est grande de céder au mono-idéisme : chasser Macron à tout prix, n’importe comment et par suite avec n’importe qui.

Gens d’armes, généraux, amiraux qui écrivent n’importe quoi peuvent alors paraître comme un recours acceptable. Ils proposent de chasser Macron, pourquoi ne pas les suivre, après tout ils sont forts ? C’est là que ce mono-idéisme là cède à toutes les facilités propres à l’état dépressif de la Nation. Cap au pire, accélérons, mais au moins finissons-en.

Et puis tant pis si leur pensée n’a pas l’ombre d’un début de consistance. Tant pis s’ils ne parlent pas de structures, d’UE, d’OTAN, d’oligarchie, bref de toutes les racines des maux qui frappent la France. Tant pis si les conséquences d’une intervention armée (qui n’a pas aujourd’hui le début d’une once de crédibilité) se mesureraient en situation à la syrienne ou à l’espagnole. Tant pis si aucune force civile ne peut arrêter un char, descendre un Rafale ou couler une frégate. On irait parce qu’il ne nous reste plus que ça. Cette force là est trop forte et elle doit rester là où elle est : en caserne. A la vérité il nous reste bien plus : nous autres. C’est à nous autres de nous relever, d’aller chez le psychiatre s’il le faut mais de rester debout. C’est à nous qu’appartient la lutte et c’est à nous de la gagner, ensemble. Seuls, nous sommes perdus et rien ne viendra nous sauver, ni les urnes ni l’armée. C’est unis qu’il faut chasser Macron, c’est ensemble qu’il faut imaginer et conquérir des lendemains qui chantent : une vie belle et heureuse.

La bourse, la mort, ou la vie

Cela va faire un an qu’on vit suspendus aux annonces d’Emmanuel Macron, toutes plus absurdes les unes que les autres. On attend, on espère, on déchante, on voit les morts s’empiler et les covid long s’accumuler pendant que là-haut on se félicite et on fait des calculs politiques.

Darmanin rassure Sarkozy, Poirson trahit, Philippe revient pendant que Blanquer est en dessous de tout. On regarde ce spectacle misérable d’un entre-soi minable à longueur de jours. La relocalisation ? que dalle. Les hôpitaux ? On ferme des lits. Les premiers de corvée ? Ils auront droit à la réforme de l’assurance chômage. Le spectacle ? On demande aux intermittents d’avoir assuré une année normale. Et ça se congratule, et les médias analysent, et les riches se font des bouffes, et puis voilà que par-dessus le marché, Le Maire nous assure que ce sont qui dénoncent qui devraient aller en prison, pas ceux qui bouffent.

Comment ne pas les haïr ? Même en étant le dernier à en souffrir, on vit l’absurde en flux continu. Pas de promenade en forêt (ou à moins de dix kilomètres). Rester chez soi après 19h (déjà ce n’est plus 18), et tant pis pour aller faire des courses. Est-ce qu’à un moment ces gens se posent la question de la vie des gens, ou est-ce qu’ils sont trop occupés à leurs dîners ? On ne saura pas. Pendant ce temps, ça licencie plein pot, le capitalisme se restructure en délocalisant, les aides pleuvent sans condition et en fausse monnaie, on ouvre des numéros verts, on vire en visio, on envoie des flics à tout bout de champ, et puis on leur paye le train. Ils sont tellement mauvais, tellement menteurs, tellement grotesques qu’on ne sait même plus où est le réel et où est la fiction.

Il y a de quoi vouloir en finir, n’est-ce pas ? Là-haut, dans des palais dorés et dégénérés, ça vole la vie des gens, leur revenu, leur avenir, et ça s’en moque. La bourse ? Ça fait 30 ans qu’ils la siphonnent pour remplir celle de Bernard Arnault. La mort ? Ils en sont à s’en servir comme d’un moyen électoral. Et vous verrez que bientôt, en guise de programme, ils diront qu’ils n’ont pas fait pire que les autres.

Alors parlons de la vie. Imaginons ce qu’on pourrait faire en les ayant chassés tous.

Le covid serait toujours là, bien sûr, et les difficultés économiques aussi. Mais, ayant fait le serment de ne pas quitter la salle avant d’avoir doté la France d’une constitution, les gilets jaunes ayant pris l’Élysée et l’Assemblée sont continuellement assaillis de demandes populaires qu’ils sont bien obligés de satisfaire. Organisés en convention, ils gèrent le covid et la crise comme des moyens de fédérer ce qui est devenue une révolution. D’un ennemi invisible on fait un ennemi extérieur, à même de souder la Nation.

Les gens se serrent les coudes, et les mesures difficiles n’ont pas vraiment généré de polémique. Les usines de principes actifs ont été nationalisées et les gendarmes du peloton de réquisition y sont allés la fleur au fusil. Les mesures sanitaires, toujours pénibles, sont enfin acceptées parce qu’elles émanent de la démocratie et qu’elles font la part belle aux vivants. Les restrictions de libertés sont abolies, des détenus libérés, les caméras brulées, les péages détruits, les médias saisis.
Partout, la solidarité s’organise. On porte à manger aux nécessiteux, on soutient les combattants, les soignants, les routiers, les paysans.

Universités, écoles, lycées, tournent en effectif réduits et en rotation. Les enseignants enseignent, comme ils peuvent, pendant que les élèves apprennent, comme ils peuvent. Les restaurants sont partiellement ouverts mais les contrôles sont sévères. Les hôpitaux sont à nouveaux remplis des anciens infirmiers démissionnaires et on en forme encore des milliers, qui en attendant servent de petite main. Les revenus sont garantis, les licenciements interdits, les industries stratégiques sont réquisitionnées. Tout le monde a un toit, un repas, de la terre, un travail.

Adieu l’UE, a dit la convention le premier jour. Et l’UE a râlé, mais que vouliez-vous qu’elle fasse ? Partout, on organise des élections, on remplace les maires, on chasse les conseillers régionaux, les intercommunalités, on installe des conseils populaires. Les importations deviennent difficiles ? Qu’à cela ne tienne, tout ce que le pays compte d’ouvriers, d’ingénieurs et de bonnes volontés se met à produire le nécessaire. On bricole pour tout de suite pendant qu’on planifie le long terme.

Bien sûr, c’est dur. Bien sûr, il faut gérer la question de l’armée, de la police, de la dette publique, des pressions internationales, mais ça, ça sera demain. Le covid est encore là, la souffrance économique aussi, mais déjà Macron et son monde sont loin. On mange, on travaille, on chante, on boit, on aime, on vit.

Enfin !

Frédérique Vidal à Marseille : une visite Potemkine

Sweden, Carson City
© Gregor Sailer
Retour sur la visite de Frédérique Vidal sur le campus de Luminy à Marseille, par un universitaire souhaitant préserver son anonymat.

Ce vendredi 05 mars, la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, s’est rendue sur le campus de Luminy de Marseille. L’intérêt de cette visite est en soi limité. Je vous laisse le soin d’en regarder les compte-rendus dans la presse pour vous en rendre compte. Mais ce qu’on ne peut pas voir à travers les images relayées par les médias, c’est la façon dont s’est organisée cette visite. Comme souvent, c’est ce qui se passe en coulisse qui doit retenir notre attention.

Plaçons-nous tout d’abord du point de vue des étudiants. Premièrement, la visite a eu lieu pendant les vacances des étudiants en licence, l’université étant presque déserte. Un choix de calendrier étonnant, s’il en est. Qui étaient alors ces jeunes gens regroupés en cercle autour de la ministre ? Des étudiants sélectionnés par le président de l’université lui-même. Un public choisi pour sa capacité à tenir tête à la ministre, n’en doutons pas. Deuxièmement, après la discussion avec les étudiants dans la cour intérieure, Mme Vidal a visité la bibliothèque… entre 12h45 et 13h15. C’est à dire très précisément pendant la période où les étudiants ne sont pas censés y avoir accès : pour cause de pandémie, ce dernier se fait par réservation soit sur le créneau de 8h-13h, soit sur celui de 13h30-17h. Après le choix de la date, celui de l’horaire donc.

Lorsque l’information a commencé à circuler, il a tout de même été impossible d’approcher la ministre

Plaçons nous maintenant du point de vue des personnels de l’université. Tout d’abord, personne n’a été prévenu de la visite de la ministre. Ainsi, aucun membre de l’Université, hormis son comité de direction, n’a pu envisager discuter avec celle qui, en plus de représenter leur autorité de tutelle, prétend également parler au nom de l’ensemble de la communauté universitaire. Ensuite, lorsque l’information a, bien tardivement, commencé à circuler, il a tout de même été impossible d’approcher la ministre: l’accès était interdit à toute personne non-inscrite sur « la liste » , le service d’ordre, conséquent.

Les étudiants ont des motifs légitimes de colère, […] les membres de l’Université en ont tout autant.

On avait connu le président Macron contraint à barricader des quartiers entiers lors de ses déplacements, afin d’esquiver une contestation qui s’est enflammée depuis l’apparition des Gilets Jaunes. Qu’un président de la cinquième République cristallise les colères n’est guère surprenant (quoique le niveau atteint actuellement est exceptionnel). Par contre, qu’une ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche se sente contrainte de visiter une université en catimini, s’y cachant à la fois de ses étudiants et de son personnel (pourtant loin d’être constitués de violents révolutionnaires), me semble marquer une nouvelle étape dans le discrédit général du
gouvernement actuel.

Ils ont peur, d’un étudiant de 20 ans comme d’un vieux professeur d’université.

Oui, les étudiants ont des motifs légitimes de colère, alors qu’ils sont touchés de plein fouet par une crise qui, en plus de les priver d’un parcours universitaire normal, les plonge dans une détresse psychologique et matérielle dangereuse… Oui, les membres de l’Université en ont tout autant, depuis la LPR presque unanimement refusée jusqu’à la gestion de la crise au sein d’une institution qui manquait déjà cruellement de moyens en temps normal, en passant par les propos délirants de Mme Vidal vis-à-vis de la recherche académique.

En agissant comme elle l’a fait, la ministre fuit ses responsabilités. Mais elle offre une nouvelle preuve que le bateau est en train de prendre l’eau: ils ont peur. Ils ont peur, au point de ne plus oser un contact direct avec la réalité. Ils ont peur, d’un étudiant de 20 ans comme d’un vieux professeur d’université. C’est probablement signe qu’ils ne seront pas longs à quitter le navire, quand celui-ci tanguera un peu plus.

Un universitaire.

Au revoir 2020

Ça y est, nous en avons presque fini de cette année noire. Elle ne nous aura pas épargné grand-chose et serait-il vraiment la peine de revenir sur les souffrances que nous auront imposé la pandémie et la macronie ? D’ailleurs, ni l’une ni l’autre ne s’arrêtent au calendrier. La nouvelle souche de la première se répand aussi vite que la seconde vaccine lentement. Pour les six mois à venir, on sait ce qui nous attend : une alternance de confinements et de mensonges.

Les effets économiques de la pandémie vont cependant commencer à se voir. Les faillites, retardées par les mesures de protection mises en place, vont commencer à se multiplier. Le chômage va croître, jusqu’à 12%, nous disent les modèles de l’INSEE. La pauvreté et la précarité aussi vont augmenter. Si l’on compte les plans sociaux, il va aussi falloir se mettre à compter les suicides.

2021 risque bien d’être une année encore plus noire que ne l’aura été 2020. De manière générale, le futur proche est bien sombre. Le néolibéralisme finissant n’en finira pas de mourir, et il nous fera payer chaque spasme.

Ce soir de réveillon, j’ai regardé Totoro, seul dans mon salon et j’en tire une analogie d’où est tirée l’illustration : nous sommes sous la pluie, avec maman à l’hôpital. Et ça tombe et ça tombe et papa ne rentre pas. Mais arrivent le grand lapin mystérieux et le gros chat magique à 12 pattes avec son sourire. Ils n’existent pas, bien sûr. Mais ils nous rendent heureux. Mon gros lapin grogron, mon chat-bus à 12 pattes, c’est la révolution heureuse ou le changement d’ordre dans le calme. Ils n’arriveront pas. Je n’ai plus 10 ans.

Ce qui nous attend, c’est l’accumulation du ressentiment et la mise en cause violente d’un ordre qui va devenir insupportable. Ça ne se fera pas dans la joie, ni dans la musique, ni dans le « dialogue social », mais dans la violence et c’est bien triste de devoir en arriver là. Il suffirait de si peu pour rendre les choses meilleures.

Alors je ne vous souhaite pas une bonne année 2021, parce qu’on sait qu’elle sera malheureuse, mais un avenir, qu’on espère aussi proche que possible, peuplé de musique, de chemins creux, d’enfants heureux et de travail honnête. Un avenir peuplé de rêves qu’on sait impossibles mais dont on ne décroche pas. Un avenir rempli de joie, débarrassé du froid dégoutant et de l’inhumanité de cette société comptable. Un avenir de fraternité entre les hommes et de simplicité.

La forteresse de Pandémonium

pandémonium

Dans Alien vs. Predator, alors que les protagonistes sont piégés dans une pyramide sous l’Antarctique, au milieu d’une lutte à mort entre des alien brusquement réveillés de l’hibernation et des Predator venus de l’espace pour les combattre, Alexa Woods (Sanaa Lathan) parle : « nous sommes perdus comme des rats dans un labyrinthe ».

C’est un peu l’effet qu’un engagement politique récent peut faire à quelqu’un.

La multiplicité des forces en présence donne rapidement le tournis. Il faut commencer par accepter l’idée que l’opposition gauche-droite est périmée depuis que la première est devenue ni l’une ni l’autre, c’est-à-dire l’autre. La droite, autrefois champ relativement identifiable du conservatisme, s’est retrouvée enrichie de multiples versions de centrismes, plus ou moins teintées d’écologie ou d’européisme. L’ensemble, sous l’impulsion de Macron, ayant glissé vers l’extrême-droite pendant que celle-ci, tout en conservant certaines de ses caractéristiques, glissait vers le centrisme (c’est-à-dire le capitalisme internationalisé), on a de quoi y voir flou. Il reste quand même une gauche qui s’oppose à tout le reste, à tout ce qui est devenu de droite, ou qui a glissé de plus en plus loin du centre. Bref l’affaire n’est pas si simple.

D’autant plus qu’au sein de la gauche, ou du moins de tout ce qui s’en réclame encore à peu près sincèrement, les dissensions sont multiples. On peut croire naïvement qu’il ne s’agit que de nuances entre courants marxistes, de guerres picrocholines entre chapelles trotskystes (encore faut-il découvrir tout cela au fil de l’eau), de querelles entre girondins et jacobins, entre universalistes, régionalistes, relativistes ou autres, mais les choses apparaissent rapidement plus complexes.

Querelles de personnes ou amitiés héritées d’années, voire de décennies de lutte, revirements, ruptures ou changement d’allégeances au gré des élections ou des promotions universitaires, jalousies personnelles et affaires privées structurent en profondeur un paysage qui en devient incompréhensible.

Tout cela est sans compter que tous ces courants et relations personnelles s’intersectent, non pas positivement comme les dominations (encore un sujet à s’arracher les cheveux de la tête), mais négativement, et les courants se soustraient les uns aux autres, se condamnant mutuellement à l’état groupusculaire. Les anathèmes pleuvent sur untel qui a participé à telle manifestation pendant qu’on rappelle à telle autre qu’il y a dix ans on l’a vue en photo avec je-ne-sais-qui.

Critiquer un texte n’ayant pas le moindre mot de compassion pour un prof décapité, et vous voilà vallsiste. Parce que vous savez, chez ces gens là, on a des principes, et quand on pleure, c’est dans une sorte de retraite personnelle qu’on mène seul, il n’y a pas de quoi exprimer sa peine, ni communier avec les masses qui la ressentent aussi, ça vous ferait verser inévitablement dans le camp d’en face. À la place on se drape de phrases compliquées qui ne parlent qu’à vos amis, comme une confession de protestant sur le retour.

Il a de quoi, comme les gilets jaunes le proclamaient dès novembre 2018, à demander que tout cela dégage.

D’autant plus quand certains, si ce n’est la plupart, jugent indispensable de se parer de références intellectuelles implicites, ou seulement en citant un nom (nous sommes censés savoir), légitimant un discours qui dès lors ne s’adresse plus qu’à un entre-soi bourgeois et convenu. Ne pas le faire et essayer de parler simple, c’est encore pire : vous croyez les classes populaires incapables de comprendre votre référence à Wittgenstein ou à Deleuze.

Là dedans émergent quelques lumières et toute la difficulté est de savoir les identifier et les suivre, tout en restant à distance critique. Il y a des recettes pour savoir s’il faut y aller ou non. Le discours doit s’attaquer aux structures et non aux épiphénomènes qui en découlent. Il doit rester logique et ne pas supposer que si A est d’accord (ou s’oppose à) B sur un point c’est qu’il est d’accord avec (ou s’oppose à) tout. Enfin il doit proposer un horizon émancipateur. L’alpha et l’Omega de la politique, comme de la philosophie, c’est la proposition libératrice.

La mienne consiste à revenir à des choses simples, qui parlent à tous : la République, vue comme horizon de République Sociale, la devise de Maximilien Robespierre, prise en son sens plein et exigeant. La démocratie partout et pour tous. C’est bien peu de lignes, mais ça me paraît suffire.

Il y en a qui, considérant que tout cela étant sali par une caste corrompue, veulent jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y en a d’autres qui rappellent que la république bourgeoise n’épuise pas l’idée de république et qui présentent un horizon agréable, des lendemains qui chantent : la République Sociale.

Pour l’instant, la lutte se fait entre d’une part un pouvoir salopant tout ce qu’il touche et qui s’épuise à force de mentir et d’autre part un conglomérat hétéroclite de gens sans doute pleins de bonnes intentions, mais obsédés par des lubies ou des intérêts personnels (ce qui n’est pas pour déplaire aux premiers).

Le pitch de Alien vs. Predator « quel que soit le vainqueur, nous perdons » résume la situation. D’un côté nous pourrions bien être écrasés. Ce pouvoir aux abois risque bien de devenir une dictature qui dira son nom. Mais si l’alternative, c’est d’être à la merci de faibles dont les principes varient du nihilisme à la réussite personnelle, autant partir.

Le vainqueur doit être une immense masse populaire s’appuyant sur des revendications simples et audibles par la masse : liberté, égalité, fraternité prises en leur plein sens. Ce plein sens exclut de fait beaucoup d’idées, empêche la juxtaposition et détruit l’idée d’une union sur les principes du plus grand commun dénominateur (qui serait nécessairement infime), mais propose l’idée du renoncement de chacun au profit du commun. Si nous le faisons bien, là les choses changeront pour de bon.