Se protéger, et protéger les autres.

Voilà une phrase que l’on entend partout, jusqu’à la nausée parfois (selon la personne qui la prononce), une expression concise et élégante qui d’un coup, d’un seul, nous charge d’une lourde responsabilité. Je ne veux pas ici discuter l’intérêt ou non de la vaccination obligatoire et autre passe sanitaire. Je ne tirerai pas à boulets rouges sur le gouvernement. Au contraire, je vais me faire son partisan, coiffer ma casquette de macroniste convaincu, et reprendre son argument d’une implacable logique. « Se faire vacciner, c’est se protéger, et protéger les autres. » C’est vrai, factuellement vrai. La vaccination est un moyen extrêmement efficace, probablement le plus efficace, pour se prémunir d’une maladie à l’échelle individuelle, et l’éradiquer en bloquant sa transmission à l’échelle de la société. Il s’agit là d’une contrainte, c’est vrai, d’un renoncement à une part de notre liberté individuelle, indéniablement. Mais cette contrainte est acceptable car elle permet de protéger l’ensemble de la société, et constitue un gain de liberté pour la collectivité, en particulier par toutes ces personnes qui ne peuvent tout simplement pas être vaccinées.

C’est tellement vrai que cet argument implique naturellement d’offrir la vaccination à l’ensemble de l’Humanité. Autrement, impossible d’éradiquer ce virus, qui continuera de se propager, de muter. D’un point de vue français, quand bien même une partie suffisante de la population française serait vaccinée, cela n’empêchera pas le virus de demeurer un danger : au mieux pour les personnes qui ne peuvent être vaccinées, au pire pour l’ensemble de la population si la mutation offre une résistance au vaccin initial. Cet argument plaide donc en faveur d’une levée des droits de propriété sur les vaccins, et d’une distribution large et à prix coûtant des vaccins. Défendre la vaccination pour « se protéger et protéger les autres » à l’échelle nationale et s’opposer à la levée de ces droits est tout à la fois idiot et injustifiable d’un point de vue moral, et totalement contradictoire d’une point de vue logique. En tant que fidèle partisan du gouvernement, je ne peux croire que la logique macronienne soit défaillante.

Cet argument, qui nous met face à un défi planétaire et sublime notre responsabilité tant individuelle que collective est extrêmement fort. Et la logique pure qu’il déploie ne peut que nous amener à l’utiliser pour d’autres défis globaux. Alors que le réchauffement climatique met en péril des millions de personnes à court terme, et l’Humanité même à moyen terme (pour ne pas évoquer l’ensemble des autres êtres vivants, je reste un macroniste convaincu…), limiter drastiquement les émissions de CO2 c’est bien se protéger, et protéger les autres. Là aussi, cela représentera une contrainte, un renoncement à une part de notre liberté : fini les week-ends aux Baléares en avion, exit le renouvellement de mon SUV tous les huit ans, terminé la 5G, l’extension des data center et l’abonnement Netflix (désolé pour les exemples-clichés, mais en bon macroniste, je ne peux que m’abstenir d’évoquer les yachts et les jets privés). Pour être conséquent, le gouvernement ne peut que prendre les mesures en ce sens. Après le contrôle du passe sanitaire par les restaurateurs, j’attends avec impatience celui du passeport, pour s’assurer qu’aucun voyage en avion n’a été effectué dans l’année ! Tout comme le contrôle par les employeurs du moyen utilisé pour se rendre au travail. « En voiture, alors que le bus ou le vélo étaient envisageables ? Désolé monsieur, votre CDI est suspendu. »

Enfin, et malgré ma foi en la Macronie, je crois bien que pour se protéger, et protéger les autres, il va falloir rompre avec le capitalisme… Certes il s’agit d’une contrainte, essentiellement pour une certaine frange de la population (mais une frange considérablement plus restreinte que pour les deux exemples évoqués au dessus !). Mais elle est totalement justifiée par le fait qu’elle permettra d’éradiquer le chantage à l’emploi et donc la précarité. Eradiquer. Comme le virus. Porter des masques, c’était un pis-aller en l’absence de vaccin, une parade temporaire pour que le système (en particulier hospitalier) ne s’effondre pas. Mais les masques ne font pas disparaitre le virus. Tout comme les sempiternels plans de relance, incitations fiscales et autres bonus-malus ne sont, pour un système économique qui broie depuis toujours les corps et les esprits, que des rustines pour l’empêcher d’imploser. Mais ces rustines ne font pas disparaître le « virus » (par ailleurs étroitement relié au danger climatique évoqué au dessus). Pour se protéger et protéger les autres, notre Président infaillible ne peut que décréter la fin du capitalisme. J’ai foi en lui, son argument est imparable. Et pour légitimer sa décision, j’attends avec impatience la constitution de la « convention citoyenne sur le capitalisme ».

Frédérique Vidal à Marseille : une visite Potemkine

Sweden, Carson City
© Gregor Sailer
Retour sur la visite de Frédérique Vidal sur le campus de Luminy à Marseille, par un universitaire souhaitant préserver son anonymat.

Ce vendredi 05 mars, la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, s’est rendue sur le campus de Luminy de Marseille. L’intérêt de cette visite est en soi limité. Je vous laisse le soin d’en regarder les compte-rendus dans la presse pour vous en rendre compte. Mais ce qu’on ne peut pas voir à travers les images relayées par les médias, c’est la façon dont s’est organisée cette visite. Comme souvent, c’est ce qui se passe en coulisse qui doit retenir notre attention.

Plaçons-nous tout d’abord du point de vue des étudiants. Premièrement, la visite a eu lieu pendant les vacances des étudiants en licence, l’université étant presque déserte. Un choix de calendrier étonnant, s’il en est. Qui étaient alors ces jeunes gens regroupés en cercle autour de la ministre ? Des étudiants sélectionnés par le président de l’université lui-même. Un public choisi pour sa capacité à tenir tête à la ministre, n’en doutons pas. Deuxièmement, après la discussion avec les étudiants dans la cour intérieure, Mme Vidal a visité la bibliothèque… entre 12h45 et 13h15. C’est à dire très précisément pendant la période où les étudiants ne sont pas censés y avoir accès : pour cause de pandémie, ce dernier se fait par réservation soit sur le créneau de 8h-13h, soit sur celui de 13h30-17h. Après le choix de la date, celui de l’horaire donc.

Lorsque l’information a commencé à circuler, il a tout de même été impossible d’approcher la ministre

Plaçons nous maintenant du point de vue des personnels de l’université. Tout d’abord, personne n’a été prévenu de la visite de la ministre. Ainsi, aucun membre de l’Université, hormis son comité de direction, n’a pu envisager discuter avec celle qui, en plus de représenter leur autorité de tutelle, prétend également parler au nom de l’ensemble de la communauté universitaire. Ensuite, lorsque l’information a, bien tardivement, commencé à circuler, il a tout de même été impossible d’approcher la ministre: l’accès était interdit à toute personne non-inscrite sur « la liste » , le service d’ordre, conséquent.

Les étudiants ont des motifs légitimes de colère, […] les membres de l’Université en ont tout autant.

On avait connu le président Macron contraint à barricader des quartiers entiers lors de ses déplacements, afin d’esquiver une contestation qui s’est enflammée depuis l’apparition des Gilets Jaunes. Qu’un président de la cinquième République cristallise les colères n’est guère surprenant (quoique le niveau atteint actuellement est exceptionnel). Par contre, qu’une ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche se sente contrainte de visiter une université en catimini, s’y cachant à la fois de ses étudiants et de son personnel (pourtant loin d’être constitués de violents révolutionnaires), me semble marquer une nouvelle étape dans le discrédit général du
gouvernement actuel.

Ils ont peur, d’un étudiant de 20 ans comme d’un vieux professeur d’université.

Oui, les étudiants ont des motifs légitimes de colère, alors qu’ils sont touchés de plein fouet par une crise qui, en plus de les priver d’un parcours universitaire normal, les plonge dans une détresse psychologique et matérielle dangereuse… Oui, les membres de l’Université en ont tout autant, depuis la LPR presque unanimement refusée jusqu’à la gestion de la crise au sein d’une institution qui manquait déjà cruellement de moyens en temps normal, en passant par les propos délirants de Mme Vidal vis-à-vis de la recherche académique.

En agissant comme elle l’a fait, la ministre fuit ses responsabilités. Mais elle offre une nouvelle preuve que le bateau est en train de prendre l’eau: ils ont peur. Ils ont peur, au point de ne plus oser un contact direct avec la réalité. Ils ont peur, d’un étudiant de 20 ans comme d’un vieux professeur d’université. C’est probablement signe qu’ils ne seront pas longs à quitter le navire, quand celui-ci tanguera un peu plus.

Un universitaire.