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Frédérique Vidal à Marseille : une visite Potemkine

Sweden, Carson City
© Gregor Sailer
Retour sur la visite de Frédérique Vidal sur le campus de Luminy à Marseille, par un universitaire souhaitant préserver son anonymat.

Ce vendredi 05 mars, la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, s’est rendue sur le campus de Luminy de Marseille. L’intérêt de cette visite est en soi limité. Je vous laisse le soin d’en regarder les compte-rendus dans la presse pour vous en rendre compte. Mais ce qu’on ne peut pas voir à travers les images relayées par les médias, c’est la façon dont s’est organisée cette visite. Comme souvent, c’est ce qui se passe en coulisse qui doit retenir notre attention.

Plaçons-nous tout d’abord du point de vue des étudiants. Premièrement, la visite a eu lieu pendant les vacances des étudiants en licence, l’université étant presque déserte. Un choix de calendrier étonnant, s’il en est. Qui étaient alors ces jeunes gens regroupés en cercle autour de la ministre ? Des étudiants sélectionnés par le président de l’université lui-même. Un public choisi pour sa capacité à tenir tête à la ministre, n’en doutons pas. Deuxièmement, après la discussion avec les étudiants dans la cour intérieure, Mme Vidal a visité la bibliothèque… entre 12h45 et 13h15. C’est à dire très précisément pendant la période où les étudiants ne sont pas censés y avoir accès : pour cause de pandémie, ce dernier se fait par réservation soit sur le créneau de 8h-13h, soit sur celui de 13h30-17h. Après le choix de la date, celui de l’horaire donc.

Lorsque l’information a commencé à circuler, il a tout de même été impossible d’approcher la ministre

Plaçons nous maintenant du point de vue des personnels de l’université. Tout d’abord, personne n’a été prévenu de la visite de la ministre. Ainsi, aucun membre de l’Université, hormis son comité de direction, n’a pu envisager discuter avec celle qui, en plus de représenter leur autorité de tutelle, prétend également parler au nom de l’ensemble de la communauté universitaire. Ensuite, lorsque l’information a, bien tardivement, commencé à circuler, il a tout de même été impossible d’approcher la ministre: l’accès était interdit à toute personne non-inscrite sur « la liste » , le service d’ordre, conséquent.

Les étudiants ont des motifs légitimes de colère, […] les membres de l’Université en ont tout autant.

On avait connu le président Macron contraint à barricader des quartiers entiers lors de ses déplacements, afin d’esquiver une contestation qui s’est enflammée depuis l’apparition des Gilets Jaunes. Qu’un président de la cinquième République cristallise les colères n’est guère surprenant (quoique le niveau atteint actuellement est exceptionnel). Par contre, qu’une ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche se sente contrainte de visiter une université en catimini, s’y cachant à la fois de ses étudiants et de son personnel (pourtant loin d’être constitués de violents révolutionnaires), me semble marquer une nouvelle étape dans le discrédit général du
gouvernement actuel.

Ils ont peur, d’un étudiant de 20 ans comme d’un vieux professeur d’université.

Oui, les étudiants ont des motifs légitimes de colère, alors qu’ils sont touchés de plein fouet par une crise qui, en plus de les priver d’un parcours universitaire normal, les plonge dans une détresse psychologique et matérielle dangereuse… Oui, les membres de l’Université en ont tout autant, depuis la LPR presque unanimement refusée jusqu’à la gestion de la crise au sein d’une institution qui manquait déjà cruellement de moyens en temps normal, en passant par les propos délirants de Mme Vidal vis-à-vis de la recherche académique.

En agissant comme elle l’a fait, la ministre fuit ses responsabilités. Mais elle offre une nouvelle preuve que le bateau est en train de prendre l’eau: ils ont peur. Ils ont peur, au point de ne plus oser un contact direct avec la réalité. Ils ont peur, d’un étudiant de 20 ans comme d’un vieux professeur d’université. C’est probablement signe qu’ils ne seront pas longs à quitter le navire, quand celui-ci tanguera un peu plus.

Un universitaire.