Le Conseil Constitutionnel a rendu entre le 14 avril et le 3 mai trois décisions touchant à la réforme des retraites, sujet qui a provoqué une contestation populaire exceptionnelle et une opposition syndicale unanime. On ne peut que rester pantois devant la désinvolture avec laquelle le Conseil a traité le sujet, validant la procédure législative plus que douteuse adoptée par le gouvernement et invalidant à deux reprises les demandes parlementaires d’organisation d’un « référendum d’initiative partagée », s’opposant ainsi à ce que la décision revienne aux citoyens. Le Conseil est réputé dire le droit issu des principes constitutionnels et s’interdire d’intervenir sur l’appréciation politique des lois, domaine qui en bonne démocratie est censé relever de l’expression populaire et des élus, non d’un cercle restreint de personnalités nommées ne rendant compte de leurs décisions à personne. L’absurdité des motifs invoqués pour rejeter l’organisation d’un référendum et valider la loi réformant les retraites, le grand-écart méthodologique entre les examens des textes selon qu’ils proviennent du gouvernement ou des parlementaires d’opposition montrent combien la réalité rend surfaite l’image de la neutralité des prétendus « 9 sages ».
Le référendum d’initiative partagée doit porter sur une proposition de loi écrite par les parlementaires qui en font la demande. En l’occurrence, elle prônait le plafonnement de l’âge de la retraite à 62 ans. Le Conseil avait notamment pour mission de vérifier qu’il s’agissait bien d’une « réforme portant sur la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation » (article 11 de la Constitution sur l’organisation de référendum). A deux reprises il a argué qu’à la date de dépôt de la demande l’âge légal de la retraite était déjà fixé à 62 ans et a fait comme si les parlementaires se bornaient à demander qu’elle soit portée à cet âge. Conclusion grotesque des « sages » : « à la date d’enregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit. » Elle ne serait donc pas une réforme sociale et du coup ne répondrait pas aux conditions stipulées par la Constitution ! Pourtant si le plafonnement avait été légalement en vigueur à la date du dépôt de la demande de référendum, comment une loi de finance rectificative de la sécurité sociale aurait-elle pu porter l’âge de la retraite à 64 ans? L’état du droit n’est clairement pas le même selon que la loi stipule ou non un plafonnement de l’âge. Le Conseil a donc joué sur le mot « réforme » en lui associant l’expression de « modification de l’état de droit » qui ne figure pas pourtant dans la Constitution, en semant une grande confusion sur ce concept et en habillant le subterfuge d’un langage juridique.
Sentant peut-être la faiblesse de son argument, le Conseil a tenté de le renforcer par un autre : « en outre, dit-il, le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le Parlement ou adoptée par la voie du référendum. » Il en déduit une seconde fois que fixer un plafond pour l’âge de la retraite ne modifie pas l’état du droit puisque le Parlement peut le changer à tout moment. Mais un tel argument peut s’opposer à n’importe quelle demande de référendum d’initiative partagée quel qu’en soit le sujet ! Par ce raisonnement spécieux, le Conseil s’attribue en la matière un pouvoir de censure parfaitement discrétionnaire.
Concernant le recours en inconstitutionnalité de la loi sur les retraites, notamment de l’utilisation de la procédure de budget rectificatif de la sécurité sociale, le Conseil ne s’est pas livré à un exercice d’interprétation aussi chicaneur. Il rappelle que : « la loi de financement rectificative a pour objet de modifier en cours d’année les dispositions obligatoires de la loi de financement de l’année », ainsi que quelques autres dispositions facultatives de l’année en cours. Il est difficile de prétendre que le report de l’âge de la retraite et l’allongement de la durée de cotisations concernent le financement de l’année en cours. Mais le Conseil considère qu’aucune disposition constitutionnelle n’a interdit au gouvernement d’utiliser cette procédure pour le faire et qu’« il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard ». Il n’a pourtant pas hésité, en même temps, à se substituer au législateur en appréciant dans son coin que le plafonnement de l’âge de la retraite ne serait pas une réforme sociale …
« J’ai confiance dans la justice de mon pays » est une proclamation censée témoigner de son appartenance à la Nation via le respect des institutions. Mais peut-on encore éprouver une quelconque confiance dans le Conseil constitutionnel ? Cette question n’appelle en fait pas de réponse en termes de dispositions à prendre pour renouer la confiance. N’est-ce pas la Constitution elle-même qui est prise en défaut ? La loi fondamentale de notre pays proclame dans ses deux premiers articles que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » dont le principe est « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple ». La réforme des retraites, loi anti-sociale, prise contre la volonté du peuple, adoptée par des procédés parfaitement antidémocratiques et pourtant déclarée conforme à la constitution à l’inverse de l’organisation de l’expression de la volonté du peuple a relégué les proclamations de principe au rang d’hypocrisie constitutionnelle. La question à l’ordre du jour n’est-elle pas de réformer la constitution qui fasse de la France, non plus la monarchie absolue de droit électoral qu’elle est devenue à la grande satisfaction des grandes fortunes, mais de façon sincère une république indivisible, laïque et sociale gouvernée par le peuple et pour le peuple ?