Merveille de la nature, le ciel d’orage me fascine. Je pourrais le regarder toute la journée tant il est beau et tant je le crains. A mesure que les cumulonimbus montent dans l’atmosphère et que le sol comme le ciel se chargent d’électricité, les phénomènes les plus étranges se produisent. Des vents forts et tourbillonnants se lèvent puis cessent brutalement. Les hirondelles planent haut dans le ciel en mangeant les insectes excités par les champs électriques. Les abeilles se dépêchent de butiner avant la pluie. Au voisinage des pointes, en cas de grand orage, on peut même observer des feux de Saint-Elme annonciateurs de la foudre. Et puis c’est la douche, le tonnerre et les arbres arrachés pendant qu’on s’en inquiète au chaud d’une chambre sans électricité.
En élargissant la perspective au politique, le ciel de crise organique est tout aussi fascinant : « A l’étage du pouvoir, tout part en cacahuète ». Les vents forts et contraires se lèvent et cessent brutalement. De grands bruits sans effet en proviennent. Les nuages montent de plus en plus haut et deviennent de plus en plus noirs pendant que l’air lui-même change d’odeur sous l’effet de la moiteur qui gagne. En bas, on observe également des feux de Saint-Elme sur les pointes des corps politiques : black-bloc, tribunes échevelées, action écologique radicale.
Radicalité d’en bas complémentaire de la radicalité d’en haut : quand les différences de potentiel sont trop grandes, c’est l’éclair de la révolution. A la manière du ciel d’orage (le vrai), on ne peut pas savoir ni où ni quand la foudre frappera, si elle frappera ni sous quelle forme. L’observation des potentiels locaux, amplifiés par des effets de pointes, propagés par la conductivité accrue d’un air humide, ne donne pas assez d’indice sur l’état de l’ensemble. Si on peut les influencer à la marge, on sent juste venir les choses.
Valeurs actuelles, en publiant ces tribunes ne fait que montrer l’état politique de certaines pointes. L’absence de réaction du pouvoir, ou leur mollesse, montre pourtant qu’il n’y a là rien de menaçant pour eux. La décharge ne servirait qu’à rééquilibrer l’atmosphère, le plus à droite possible avant une élection qui serait difficile sans cette odeur dans l’air. A vrai dire, tout ceci sert surtout à signifier ce qui pourrait se passer dans le cas où des forces politiques arriveraient au pouvoir avec le malheur d’être jugées insatisfaisante par ces membres de corps armés.
En s’en remettant à ces olibrius, une partie du peuple semble avoir déjà oublié ce qui se passe quand on laisse carte blanche à des forces armées. Si bien qu’on en arrive à douter qu’il s’agisse des mêmes personnes. Étrangement sur Facebook, les negacovid semblent s’être massivement métamorphosés en soutiens aux généraux. Il n’y a qu’un pas pour en arriver à soupçonner des opérations menées et financées. Je ne le franchirai pas car même si c’était vrai, la responsabilité en reviendrait toujours au pouvoir. Si les gens gobent des balivernes (organisées ou non), c’est que c’est d’abord le pouvoir qui leur sert des balivernes (celles-ci bien organisées).
Il n’en reste pas moins que le climat orageux est là et que le vent commence à souffler fort. Contrairement au ciel d’orage, seul maitre du destin qu’il nous infligera, le climat de crise organique est partiellement sous notre contrôle. On peut essayer d’influencer les directions, de préparer les lendemains, d’augmenter la désirabilité d’un projet politique ou d’un autre.
La révolution devient notre horizon commun. Tout le monde commence à le sentir, même si beaucoup hésitent quant à la forme qu’elle devra prendre. Le pouvoir ne lâchera rien, ni au niveau de la France ni au niveau des institutions supranationales, sans un mouvement populaire macroscopique de niveau insurrectionnel en face de lui. Les Gilets Jaunes nous ont donné la mesure de ce qu’il fallait pour espérer changer les choses. En échouant aux portes de l’Élysée, ils ont gagné une bataille majeure : ils ont fait éclater à la face de la France que nous n’étions pas en démocratie. A partir de là, tout devient possible.
Le désir révolutionnaire, finalement, c’est préférer l’inconfort probable d’une transition difficile vers des lendemains heureux à la perpétuation d’un ordre rassurant mais qui devient de plus en plus intolérable. A mesure que la situation ira se dégradant (réforme de l’assurance chômage aidant), la crainte de la transition diminuera. Mais les gens ne bougent pas seulement par dégoût, ils bougent surtout par désir. A nous de proposer une alternative à ce monde finissant. A nous de la rendre suffisamment attirante, suffisamment stable, à nous de la diffuser dans la société dans son ensemble jusqu’à gagner son cœur.
Enfin, quand l’orage éclatera, tout sera à nouveau une question de République : sera-t-elle Sociale ou versaillaise.