Ce Samedi 16 novembre, j’ai rejoint les Gilets Jaunes pour leur anniversaire.
10h. N’étant pas au courant des différentes manifestations prévues, je vais sur les champs, espérant y trouver du monde. J’y trouve des touristes, des policiers, beaucoup de policiers, un canon à eau à l’Etoile, un blindé sous l’Arc de triomphe. Une ambiance sépulcrale, des vitrines blindées, des clients fouillés avant de rentrer chez LVMH. Pas un gilet jaune. Je crois à un bide. Un ami me prévient vers 10h30 que ça se passe à place d’Italie.
J’y vais tant bien que mal. Les métros sont fermés tout autour et je dois marcher jusqu’à Bir Hakeim pour prendre la 6. Dans le métro, je trouve d’autres personnes allant manifester. Un moine bénédictin un peu perché, et deux « étudiants-travailleurs » qui font gardiens de nuit en plus de leurs études. Vers 12H à Corvisart, le chauffeur nous informe qu’il faut descendre car la prochaine station est fermée. On marche vers la place. On déambule au milieu des slogans habituels (RIC, Macron dégage, Justice fiscale, etc) et de quelques feux de poubelle. Tout se passe bien.
J’appelle un ami qui me donne rendez-vous devant Italie 2. On s’y rejoint vers 12h30 au moment où un type démolit la devanture à coup de barre de métal et de pavés. Les policiers ne sont pas bien loin, on peut les voir. Et à cet endroit la foule n’est pas très dense. Ils ne font rien, donc nous non plus. Les casseurs démolissent ensuite la vitrine de Citadines. La scène dure une dizaine de minutes. La police finit par intervenir à la grenade lacrymogène. Naturellement, tout le monde fuit dans les rues avoisinantes.
Avec mon ami, on fait le tour du pâté de maison pour éviter la charge. On remonte sur la place par l’avenue Auguste Blanqui. Là, nous apercevons les hommes en noir à casque blanc. BAC, BRAV ? Je ne sais pas, mais tout le monde en a peur. Des gens nous disent de partir, ils arrivent au LBD. Le nom de cette arme, joint au cri de « c’est la BAC ! » saisit d’effroi le groupe dans lequel je suis qui part en courant. Nous trouvons refuge dans une épicerie qui ferme son rideau de fer derrière nous. Un moment de calme appréciable.
En ressortant, vers 13h00, le chaos a apparemment gagné la place. On s’y déplace une bonne demi-heure, car ça vaut le coup d’œil. Une voiture est retournée, une pelleteuse brûle sur le rond-point, des trottinettes brûlent sur la chaussée, le nuage de lacrymogène est permanent, même si le vent le disperse bien. Pourtant, l’ambiance reste rassurante. C’est là qu’est le paradoxe. Personne n’a peur de ceux qui retournent des voitures, mais tout le monde s’enfuit à la vue d’une unité de la BAC. Des personnalités et élus comme Jérôme Rodrigues ou Esther Benbassa sont arrivés. Probablement pour la manifestation déclarée à 14h. Pourtant personne ne bouge de la place. On déambule. On entend « sommation » du côté des gendarmes, pas grand-chose ailleurs.
Vers 14h30, on se sent coincés. Je demande à un CRS si on peut sortir. « Non ». « Et on fait quoi alors ? » « Vous restez dans le pot de pus ». Nous voilà bien. On tente l’avenue d’Italie où se tient un gros barrage de CRS avec un canon à eau. « On peut sortir ? ». « Non ». « Il y a une issue ? ». « Non ». Pourtant ils laissent rentrer des gens. On leur signale qu’il faudrait au moins signifier à ces gens qu’ils ne pourront pas sortir. « Non ». Alors on continue de se balader. Ça tire à la lacrymo dans toutes les directions. Impossible de savoir où il faut se rendre pour être en sécurité. Au milieu de la place ? Dans un renfoncement de mur pour éviter les charges ? Près des gendarmes ? Près des medics ? On n’entend plus les sommations. Y en a-t-il seulement ? Plus loin, je vois une demi-douzaine de CRS, seuls, dos au mur en position statique. Je vais leur demander qui les a envoyés là si loin de leurs renforts. De mon point de vue, c’est une faute de leur officier. Ils ne répondent pas mais nous disent que ça va devenir dangereux. Vu ce qui est arrivé à Manu (le 25eme éborgné du mouvement), je reconnais que ce CRS avait raison.
On finira par réussir à partir peu après 15h, à la faveur d’un mouvement de flottement de la ligne CRS. D’autres n’ont pas eu cette chance et y sont restés coincés bien plus longtemps.
Texte initialement publié chez nos amis Les infiltrés