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« Pouvons-nous imaginer des technologies de l’information et de la communication qui ne nous exploitent, ne nous trompent et ne nous supplantent pas ? Oui, nous le pouvons – une fois que l’on sort des réseaux de pouvoirs commerciaux qui ont défini la vague actuelle de l’IA », affirme l’écrivain britannique James Bridle dans un article du Guardian de 2023.
Portés par des acteurs privés monopolistiques aux objectifs clairement affichés de contrôle et de monétisation des comportements individuels, ces «réseaux de pouvoir» orientent le développement de l’Intelligence Artificielle vers de sombres destinées. Prolétarisation des individus, déséquilibres économiques extrêmes, aliénation des travailleurs et travailleuses, impacts énergétiques et environnementaux démesurés : l’industrie de l’IA actuelle concentre et exacerbe toutes ces “externalités négatives”. C’est à se demander si son développement actuel ne serait pas l’ultime parade du capitalisme néo-libéral.
Est-ce pour autant tout ce qu’il y aurait à dire sur un champ de recherche scientifique aussi fascinant ? N’y aurait-il aucun futur souhaitable, alternatif, pour les technologies de l’intelligence artificielle ? Souhaiter des alternatives ne suffit pas, il faut s’atteler à les faire apparaître : à quoi pourraient-elles ressembler, et à quelles conditions pourraient-elles émerger ?
Nous nous proposons ici de faire un pas de côté, d’adopter une réflexivité sur la technique instruite de ses rapports aux conditions socio-économiques, aux problématiques éthiques comme pratiques, aux jeux d’influences et aux discours médiatiques des garants du techno-solutionnisme. Repenser l’Intelligence Artificielle non pas comme une entité semi-consciente annonciatrice d’une ère nouvelle, mais comme un mode d’assemblage de méthodes statistiques, de jeux de données, de puissance de calcul, et d’idéologies. Ancrer notre critique de l’IA dans le réel en parcourant son histoire, en investiguant ses modes spécifiques de développement scientifique et industriel, en questionnant les narratifs en vogue et les intérêts qui les sous-tendent.
Souligner enfin ce sur quoi il faudrait agir pour soutenir l’émergence, en France et en Europe, de voies alternatives pour ces technologies qui, en l’état actuel, achèvent de lier nos destins aux imaginaires scientistes d’outre-atlantique. S’il s’agit plutôt, comme nous le portons, de mettre les technologies numériques au service des décisions collectives, c’est-à-dire aussi de nos capacités d’invention, d’imagination et d’interprétation, il nous faut porter une vision alternative de “l’intelligence”. Selon l’association Ars Industrialis, “ce qui est bête ou intelligent, ce n’est pas tant tel individu ou tel milieu que la relation qui les lie l’un à l’autre”. L’enjeu pour nous n’est donc pas de déterminer quelles “solutions” techniques feraient progresser l’IA, mais plutôt de construire et décrire une « nouvelle alliance avec la machine » qu’appelait de ses vœux en 1992 le philosophe Félix Guattari.
X-Alternative est un groupement d’ingénieurs et scientifiques au service de l’intérêt général : en ouvrant des espaces de réflexion, nous tâchons de repenser la technique pour une inscription sociale émancipatrice. Composé de jeunes chercheuses en informatique, d’industriels expérimentés, de philosophes des techniques, le comité de rédaction de cette note s’est donné pour tâche de poser un regard technique et critique sur l’Intelligence Artificielle et les problématiques qu’elle soulève. Cette note s’adresse aux décideurs, fonctionnaires, cadres, chercheurs, étudiants, au grand public : à quiconque chercherait un partage sensible entre mirages de quelques-uns et réalité de tous.
Nous souhaitons ainsi proposer le socle sur lequel refonder une politique scientifique, industrielle et sociale de l’Intelligence Artificielle.