La réindustrialisation de la France semble être devenue une préoccupation « trans-partisane » sous l’effet d’une double mutation :
- Longtemps synonyme d’une économie du passé, l’industrie a montré son caractère actuel au moment du Covid quand la France a été incapable de se fournir en respirateurs ou masques.
- Longtemps associée à la pollution, un consensus émerge sur le caractère indispensable de certains produits industriels pour la transition écologique (véhicules électriques, pompes à chaleur, industries lourdes pour les infrastructures de la bifurcation écologique…)
Le groupe X-Alternative et le laboratoire d’idées Intérêt Général publient une note intitulée « Construire une planification industrielle à partir des besoins ». Organisée en deux épisodes, cette note présente une description inédite de la situation industrielle française et de ses politiques en remettant au centre de l’analyse la question de la réponse aux besoins. Des propositions sont formulées pour bifurquer vers une industrie tournée vers la réponse aux besoins et aux défis actuels de souveraineté et de transition écologique.
Des décennies de politiques néo-libérales ont considérablement affaibli l’industrie française :
- 2,5 millions d’emplois industriels ont été perdus depuis 1973, laissant certains territoires sinistrés. La France est 22e dans l’Union européenne en termes d’emplois industriels rapportés à l’emploi total.
- Avec 10% du PIB relevant de l’industrie, la France se situe aujourd’hui parmi les pays “riches” les moins industrialisés, loin derrière l’Allemagne (18%), le Japon (20%), l’Italie (15%) ou encore la Pologne (17%). Depuis le début des années 2000, la part de l’industrie dans le PIB diminue plus rapidement que la part des biens industriels dans la consommation : l’industrie française est de moins en moins capable de répondre aux besoins du pays et de ses habitant-es.
- Péchiney, Arcelor, Alcatel, Alstom, Atos… les fleurons industriels français continuent d’être vendus à la découpe à des acteurs étrangers. Fin 2024, la multiplication des annonces de fermetures d’usines et de plans sociaux (Michelin, Vencorex, ArcelorMittal, etc.) montre une nouvelle fois la fragilité du tissu industriel national
Les politiques industrielles sont désorganisées et entravées par une logique inefficace de soutien unilatéral à l’offre et d’accroissement de l’autonomie des acteurs privés :
- Depuis l’abandon de l’approche planificatrice post-1945 avec la montée en puissance du néolibéralisme et l’émergence de règles européennes, les principales politiques industrielles visent quasi exclusivement le soutien la production : Pacte pour la compétitivité, CICE, CIR, baisse des impôts de production… ou plus récemment France Relance et France 2030.
- Ces aides ne s’accompagnent jamais ni de conditions environnementales et sociales, ni de contrôles sur leur utilisation effective, ni de garanties de transparence. Après la fin des grandes entreprises publiques et du contrôle monétaire, la puissance publique se démet donc elle-même de ce qui lui reste de capacités à arbitrer et orienter l’économie.
- Même logique au niveau européen, où les quelques avancées notables visant à orienter la production vers les industries bas carbone (véhicule électrique, recyclage des batteries, Net-zero industry act…) sont bien faibles au regard des moyens déployés aux Etats-Unis et en Chine.
- Les prêts bancaires et l’actionnariat, deux principales sources d’endettement des entreprises industrielles, entraînent les entreprises dans une spirale inefficace : depuis la crise de 2008, les dividendes versés chaque année sont en moyenne 100 Mds € supérieurs aux apports en actions.
L’urgence de nouvelles politiques industrielles, basées sur la planification et partant des besoins
Il est temps de bâtir de nouvelles politiques industrielles, capables de répondre aux défis actuels de souveraineté, de décarbonation et de progrès social.
Nous proposons donc d’ériger en objectif principal des politiques industrielles la capacité de fournir la réponse matérielle aux besoins du pays et de sa population, en particulier pour les biens les plus stratégiques.
Fort de l’exemple du Commissariat général au plan, et conscient de ses limites pour l’appliquer à la situation actuelle, nous proposons de bâtir de nouvelles politiques autour de la méthode de la planification, avec pour but de répondre aux besoins du pays et de ses habitant·es, en visant à :
- Collaborer de manière équilibrée entre la puissance publique et la force productive privée ;
- Donner de la visibilité aux acteurs en fixant des objectifs de moyen et long terme et en posant les jalons intermédiaires de manière concertée ;
- Inscrire la production industrielle dans la lignée d’autres objectifs stratégiques de long terme, tels que la souveraineté et la transition écologique et sociale ;
- Se donner les moyens de suivre les trajectoires et les objectifs définis, en actant l’impossibilité de faire confiance au seul marché pour les atteindre.
Pour atteindre cet objectif et guider son action, la planification industrielle se dote de quatre grands principes :
- Partir des besoins du pays et de sa population et prioriser les plus “stratégiques”, en définissant collectivement un « standard de vie décente » et en s’appuyant sur de nouveaux modes de gouvernance et de dialogues entre puissance publique et citoyen-nes.
- Garantir des productions accessibles et de bonnes conditions de travail, via une maîtrise et une visibilité des coûts pour les projets industriels, en particulier pour l’énergie et la garantie de prix bas aux consommateurs pour les produits essentiels.
- Mettre la démocratie au cœur des politiques industrielles, en organisant l’articulation entre la puissance publique nationale, les assemblées des salariés dans les entreprises relayées par les institutions de celles-ci et par les Comités de filière, les organisations syndicales, les Comités de filière et les assemblées des citoyens dans les collectivités territoriales concernées.
- Respecter les limites planétaires et en particulier maîtriser la consommation des ressources, via l’articulation avec la planification écologique.