Bertrand Barère : Barère, au nom du comité de salut public

21 ventôse an II (11 mars 1794)

Citoyens,

Les cours étrangères préparent la guerre extérieure, pendant que les cabinets diplomatiques s’assurent d’une campagne plus utile dans l’intérieur.

Il ne reste de la Vendée, d’après les nouvelles reçues aujourd’hui, que les cadavres de royalistes et quelques bandes de brigands qu’on poursuit ; mais il reste du nombre de nos ennemis intérieurs, une foule d’hommes masqués dirigés par l’étranger, ou par des haines personnelles ou par l’esprit d’intrigue, et plus encore par celui de désordre public et de la cupidité qui veut s’en nourrir. C’est en vain qu’ils s’agitent à l’ouverture de la campagne ; c’est en vain qu’ils cherchent à créer des idées nouvelles, et à vous occuper de nouveau. Le gouvernement national, tiré du sein de la Convention même, en s’occupant des moyens de terminer cette guerre intestine d’intrigues ne cesse pas de s’occuper des grands établissements nécessaires à la prospérité du peuple, et à l’affermissement de la république.

Le comité, en attendant le rapport qui vous sera fait sur les maux actuels, vient vous présenter une nouvelle commission qui doit se rattacher d’une manière plus centrale, plus active, plus responsable au gouvernement révolutionnaire : c’est des travaux publics que je vais parler.

Les voyageurs qui parcourent la France depuis quatre années, cherchent en vain les traces des millions répandus sur les travaux publics par les deux assemblées nationales qui ont précédé la Convention. Les armées, qui depuis deux ans défendent si bien les frontières, et pacifient l’intérieur de la République se demandent souvent s’il existe une administration conservatrice des travaux, des chemins et des établissements publics.

Il a fallu que le soldat, pour qui la liberté est une passion, ait eu un courage extraordinaire pour surmonter les difficultés des chemins, réunies aux dangers de la guerre ; il a fallu que le peuple pour qui le travail est un besoin, ait eu partout un attachement indestructible à l’égalité pour qu’il ne murmurât pas de tant de négligence.

La patience du soldat et la confiance du peuple sont des motifs pour déterminer la convention à faire cesser les abus perpétrés dans l’administration des travaux publics et pour faire exécuter les moyens qui en faisant disparoître la mendicité par le travail, rétablissent les communications nécessaires entre la Convention et les armées, entre les extrémités de l’administration publique et le centre du gouvernement, entre le commerce et les besoins, entre l’agriculture et ses ressources ; mais pour y parvenir, il faut aussi une révolution dans l’administration des travaux publics trop long-temps négligés et abandonnés à une incurie coupable, à une aristocratie déguisée et à des machines ministérielles, bagage trop lourd de l’ancien despotisme.

Il importe à la prospérité publique, au génie industrieux des Français, encore plus aux besoins journaliers de la circulation intérieure, de soumettre tous les grands travaux que la nation salarie dans les ports, dans les chantiers, dans les ateliers et sur les routes, à des principes constans et uniformes ; il importe à leur activité et à leur solidité, que toutes les ramifications aboutissent à un centre commun ; que le corps législatif soit délivré des soins administratifs de cette partie immense, pour en surveiller l’administration, et indiquer les grands objets des travaux nationaux.

Le vice que nous devons guérir dans cette partie provient de la versatilité des principes d’économie politique, des fluctuations des autorités qui ordonnent, des intrigues soit départementales soit ministérielles qui s’y mêlent, et de cette foule de volontés hétérogènes qui ressemblent encore aux caprices des intendans et aux gaspillages des subdélégués.

On voit des ingénieurs des ponts et chaussées et des inspecteurs généraux, des ingénieurs des départemens, des administrateurs de district et de département, des communes, des ordres du ministre de l’intérieur et des ordres militaires, se croiser, se heurter, se contrarier ou s’aglomérer sur le même objet ou pour le même pays.

Il faut déclarer la guerre à bien des préjugés élevés par l’habitude au rang des principes en cette matière ; il faut réformer ce régime dangereux et funeste des ponts et chaussées, et ne conserver que l’art utile qui en est l’objet. Les maîtres sont les vices à proscrire ; leur administration est l’abus à anéantir, mais une grande école pour cette partie peut seule former les ingénieurs que la commission nouvelle emploiera. Il faut tracer la ligne de démarcation entre l’ingénieur et l’administrateur. Celui-ci exécutera ce qu’une commission centrale aura ordonné d’après le voeu des assemblées nationales et le cours des travaux habituels.

L’assemblée constituante parla beaucoup des travaux publics, et ne les organisa point ; elle livra plus de trente millions à l’administration royale des ponts et chaussées, qui continua ses travaux habituels et perpétua les abus. Il n’y eut de changé que son costume ; elle jeta un voile de l popularité sur ses opérations, mais le même despotisme sur les travaux publics fut exercé. L’emploi des fonds demeura sans surveillance ; les routes et les communications diverses furent dégradées ; les intrigans et souvent des imposteurs inciviques obtinrent des fonds. Les ouvrages les plus utiles furent négligés, et l’on s’occupa de promenades publiques, au lieu de s’occuper des communications du commerce et de l’agriculture.

L’assemblée législative, qui détruisit si heureusement le veto royal laissa subsister le veto administratif des ponts et chaussées. Il s’éleva des divisions interminables entre cette administration et celles des départemens et des districts. Une route étoit-elle encombrée, un pont étoit-il enlevé, le corps administratif ne pouvoit rien rétablir sans le consentement de la régie ; et de cette lutte, résultoient des routes non réparées, et des ponts non rétablis.

Depuis cette époque on a proposé de réduire les fonctions du corps législatif à décréter chaque année la somme que le trésor national fourniroit à chaque département, à la charge de justifier de l’emploi.

On a proposé de faire diriger le corps administratif, dans l’exécution des plans envoyés, par l’école des ponts et chaussées, et d’y répartir les ingénieurs, sauf à envoyer pour les travaux les plus importans et les plus difficiles les ingénieurs les plus habiles. L’auteur de ce plan, soumis à la Convention voyait dans cette autorisation des corps administratifs à ordonner des travaux publics, des ateliers s’ouvrir dans toutes les parties de la République, et toutes les communes concourir aux travaux pour les communications respectives.

Mais ce projet ne peut avoir que des résultats contraires à l’unité de la République. Le grand objet des sacrifices que font les Français, le chef-d’oeuvre de notre révolution immortelle, est une république de vingt-sept millions de citoyens, posée sur une territoire de vingt-sept mille lieues quarrées. Le fédéralisme est là pour la détruire à chaque époque, pour la tourmenter à chaque instant ; et le fédéralisme est une maladie compliquée de prédilections locales, d’affections individuelles, d’intérêt personnel et sordide, de rétrécissement dans les esprits, d’égoïsme dans les âmes, d’orgueil provincial, de vanité citadine et de vengeances insensées contre la plus belle cité du monde.

Vous devez donc, dans toutes vos institutions, appercevoir et combattre le fédéralisme comme votre ennemi naturel ; c’est un vice qui est dans les veines du corps politique, qui est, pour ainsi dire dans le sang de tous les hommes qui ne savent pas s’élever aux idées délicieuses de patrie, qui voient leur district et non la France, qui pensent à leur village et non à la République et qui préfèrent sans cesse leur bourg ou leur ville à la ville commune, au centre imposant de la République, à Paris.

Un grand établissement central pour tous les travaux de la République est donc un moyen efficace contre le fédéralisme. Dès-lors toutes les communications se feront en commun. Comme toutes les jouissances doivent être en masse, les canaux, les digues, les ponts, les chemins, les ports, seront construits aux frais de tous, parce qu’ils sont destinés également pour tous.

Un département mettroit de l’orgeil à faire sur son arrondissement un pont très-dispendieux, ou une grande avenue inutile ; la commission centrale, qui ne partage aucune affection particulière, se contentera d’ordonner un pont analogue à l’importance des communications de ce département, et réglera les chemins nécessaires à ouvrir.

Les anciens états du ci-devant Languedoc donnoient des encouragemens, et faisoient creuser des canaux secondaires à côté du canal tracé par le génie de Riquet. Ils regardoient ce canal comme la propriété d’une grande province. Aux yeux de la République, c’est la réunion des deux mers, c’est le point de contact du Nord au Midi, c’est le commencement de cette grande route qui, des Bouches-du-Rhône, viendra communiquer aux boucles de la Seine, par le canal projeté de Dieppe.

Le canal dit de Bourgogne, et qui doit opérer la jonction de la Loire à la Saône, et de la Saône à la Seine, fut un projet dédié à la vanité de l’émigré Condé. La caste nobiliaire de ce pays d’état dépensa des sommes considérables en blasons, en monumens, en médailles sur les bords et dans les fondemens des travaux d’arts faits pour le canal : de-là l’empire des localités et de l’esprit provincial ou départemental. Dans les mains de la République, au contraire, ces sommes diverses auraient servi à mettre en activité ce canal : les opérations eussent été dirigées par l’économie nationale vers le bien de tous ; les communications nouvelles avec le canal eussent été établies, et plusieurs départemens se seraient enrichis du produit de l’argent employé en architecture inutile et en dépenses vaines ordonnées par l’esprit de localité.

Enfin, si on livrait les fonds publics pour les travaux, à la disposition de chaque département, vous ne verriez plus d’établissement national, mais des institutions départementales : au lieu de 32 provinces que comptoit le despotisme, la République dénombrerait 86 Etats. Le génie des arts se verrait casemé dans chaque district ; l’industrie républicaine qui ne demande qu’à se déployer, serait étouffée à sa naissance ; la fortune publique serait dilapidée par des embellissemens particuliers, et les tributs du peuple dépensés en objets plus fastueux qu’utiles.

Au milieu de ces productions orgueilleuses, informes et mesquines du fédéralisme, que deviendraient nos ports, nos rades, nos villes maritimes, nos chantiers de construction, nos ateliers nationaux, nos canaux de navigation et nos grandes routes ?

Citoyens, si chaque section de Rome avoit voulu construire ses chemins et ses théâtres, nous ne verrions plus après deux mille ans les restes si bien conservés de leurs arènes et de leur voie Appienne. Ce n’est qu’en posant aujourd’hui les bases de constructions nationales et des travaux publics vus en grand, que vous parviendrez à défédéraliser bientôt la France, avec des pionniers et des ingénieurs, bien mieux qu’avec des supplices. Ce n’est qu’en centralisant d’une manière large et opulente le travail du peuple français, l’érection de ses monumens, le perfectionnement de toute communication du commerce et de l’agriculture, que vous parviendrez à avoir les plus belles routes de terre et d’eau, les plus beaux ports, les plus grands chantiers, et que vous parviendrez à orner chaque cité de théâtres nationaux, et de grandes arènes pour le peuple ; ce n’est que par ce moyen, qu’après avoir réparé les inconvénients attachés au mouvement de la révolution et au fléau de guerre, que le peuple verra le gouvernement républicain s’occuper de lui dans ses besoins comme dans ses plaisirs ; dans ses pertes comme dans ses jouissances ; dans les trottoirs des rues comme dans les avenues des villes ; dans les chemins vicinaux comme dans les grands chemins ; dans les théâtres comme dans les bains publics ; voilà ce qui distingue les républiques des monarchies. Dans les premières, le peuple est tout ; dans les secondes il n’est rien. Dans la république, tout doit être fait, construit et ordonné pour le bien de tous, pour la santé publique, et pour la sûreté des citoyens ; dans les monarchies tout est fait pour quelques privilégiés et pour quelques tyrannaux : c’est donc pour l’intérêt du peuple que vous allez mettre les travaux publics en commission centrale.

Les différents travaux de l’architecture militaire, civile et hydraulique sont tous fondés sur les même principes ; ils dépendent tous d’une même théorie, exigent tous les mêmes études préliminaires.

Cependant, les artistes et les agents chargés de ces travaux forment trois corps différens et totalement étrangers l’un à l’autre, et l’administration qui doit les surveiller est divisée, morcelée en autant de portions qu’il y a de ministères ; leurs opérations se croisent et se rivalisent

Il résulte de là plusieurs inconvéniens majeurs ; défaut d’économie dans les finances, défaut d’ensemble dans les mesures ; mauvaise exécution dans les opérations ; beaucoup d’établissemens manqués ou informes ; nul progrès dans l’art qui, réduit, faute de principes certains, en principes vagues et particuliers à chaque administration partielle, tend graduellement à un anéantissement absolu.

Vous avez déjà senti combien il est instant d’apporter remède à ce désordre, de détruire le fédéralisme par la centralisation des travaux publics.

Le désordre que je viens de relever est un des plus désastreux que puisse éprouver la République. Si les routes et les canaux loin de se dégrader comme ils le font journellement, ne sont pas perfectionnés et multipliés ; si par eux il ne s’établit pas une communication des plus actives et des plus faciles jusqu’aux moindres ramifications de la République, il seroit impossible de lui conserver son unité, son indivisibilité. C’est par la commodité et la facilité des communications que les moeurs, les usages, les coutumes, le langage se mettent par-tout à l’unisson, que la circulation s’établit du centre de la circonférence et réciproquement ; qu’un peuple immense ne compose qu’une famille ; c’est enfin la facilité des routes et la multiplication des canaux qui peuvent résoudre le grand problème des grandes républiques, regardées par les hommes à préjugés et par quelques savans politiques, comme impossibles, jusqu’au moment où votre courage et vos lumières ont jeté les fondements de la République française.

Les villes maritimes qui sont naturellement plus cosmopolites, plus détachées des intérêts du continent par leur situation même, doivent être attachées à la république par la multiplicité des communications intérieures. Les villes commerciales, presque toutes placées dans les extrémités du territoire tournent plus souvent par leurs habitudes mercantiles, leurs regards, leurs yeux, leurs inclinations même vers les pays autres que la France ; il faut les ramener au sein de la République en les environnant de liens commerciaux au dedans, de rapports industriels dans nos cités de l’intérieur. Négliger cette vue politique, ce seroit faire que chaque cité, chaque commune cherchât à se suffire à elle-même, à s’isoler de celles qui l’avoisinent, à prendre insensiblement une allure particulière, à préférer d’établir les rapports de son commerce avec les étrangers, dont la route lui est ouverte par mer, aux rapports qu’elle pourroit avoir à ses côtés, s’il y a bien des routes ouvertes, et de se détacher ainsi insensiblement de ceux que la nature et la politique lui ont donnés pour frères et pour concitoyens ; car une lieue de chemin impraticable, ou un pont rompu équivalent à des intervalles immenses.

Ce que nous venons de dire de la nécessité de perfection pour les communications territoriales et maritimes pour l’agriculture et le commerce, s’applique aussi à la nécessité de couvrir nos frontières de forteresses inexpugnables.

Autant il est essentiel d’ouvrir tous les moyens de communication aux citoyens qui partagent nos opinions politiques et notre amour pour la liberté, autant il est nécessaire de pouvoir fermer tout accès à tous ceux qui voudraient venir se mêler de nos affaires intérieures. Fraternité, réciprocité de besoins au-dedans ; indépendance absolue au dehors : telles doivent être les bases de notre système de gouvernement

Or le grand moyen de parvenir à ce double objet consiste dans l’accélération des travaux publics, dans le perfectionnement des chemins, dans le creusement des canaux, dans les réparations et l’augmentation des fortifications à la circonférence et dans l’augmentation des travaux maritimes, et des ports.

Ces travaux sont tous du même genre ; ce sont diverses branches d’une même science, l’architecture : toutes ont besoin de l’étude préliminaire des mathématiques et des arts mécaniques. Pourquoi donc ne réunirions-nous pas tous ces objets sous une seule et même administration, qui n’aura à se fixer que sur des opérations analogues les unes aux autres, qui coordonnera l’ensemble et l’activité nécessaires, y apportera l’économie désirable, amènera la perfection à laquelle nous devons parvenir le plus promptement possible, effacera les rivalités, l’esprit de corps et les restes des préjugés qu’il produit.

C’est d’après ces diverses considérations que le comité vous propose de former, dès ce moment, une commission nationale pour tous les travaux publics de quelques genres qu’ils soient, à l’exception des manufactures d’armes, et de l’exploitation des mines, pour lesquelles il y a une commission spéciale créée par vous.

Nous en excepterons aussi la construction des vaisseaux et de toute espèce de bâtiments, que le comité a cru devoir laisser sous la direction du ministère de la marine, à cause de l’activité extraordinaire qui règne dans tous les ports.

Cette commission, composée de trois membres, comme celles que vous avez déjà établies, sera chargée déjuger et d’administrer les divers genres de travaux publics, tant civils et militaires que maritimes, de répartir les fonds qui leur seraient affectés, d’ordonner les travaux, d’y employer les agents les plus propres à chaque détail suivant leur expérience et leur capacité, de former des élèves, et enfin de procurer au conseil exécutif, soit pour les armées de terre et de mer, soit pour les colonies, soit pour les départemens, tous ceux dont il pourroit avoir besoin.

Le droit de réquisition et de préhension dont vous avez armé les commissions des subsistances et des approvisionnemens, la commission des salpêtres et des poudres, doit être également l’apanage de la commission nouvelle des travaux publics. Comment feroit-elle ses opérations si elle n’avoit le droit de requérir les matières nécessaires aux constructions qui lui sont attribuées, pourvu toute fois qu’elle se conserte avec la commission des subsistances et des approvisionnemens, qui en cette matière doivent concourir par leurs réquisitions, au lieu de se contrarier.

La commission pourra aussi requérir les ingénieurs militaires, les sapeurs et les mineurs lorsqu’ils ne seront pas en activité dans les armées. Les citoyens qui exercent cet art se rattachent naturellement aux travaux dirigés par la commission, soit pour les ports, soit pour les fortifications. Tant qu’ils ne sont pas en activité dans les armées, ils appartiennent aux travaux civils. Tant qu’ils n’exercent pas leurs fonctions pour les opérations de la guerre, ils rentrent dans les travaux ordinaires que la nation fait faire.

Pour obvier à toutes les difficultés, le décret que je vais lire porte que les ingénieurs, sapeurs et mineurs seront mis à la disposition des ministres de la guerre et de la marine, par un arrêté du conseil exécutif, pendant tout le temps que leur service sera nécessaire aux armées. Pendant tout ce temps ils seront exclusivement sous les ordres des ministres.

Mais ce qu’il importe d’effectuer, c’est de déblayer le rninistre de la marine, de la guerre, et de l’intérieur des bureaux relatifs aux travaux publics, aux fortifications, aux travaux des ports, à la défense des côtes, et aux divers dépôts qui y sont relatifs.

Citoyens, au milieu des intrigues contre-révolutionnaires qui s’ourdissent, disparaissent, et se renouvellent successivement sous diverses bannières autour de vous, il sera beau de voir la Convention nationale, immobile au sein des tempêtes, s’occuper de l’éternité de la République, par les grands monumens, les ports, les canaux, les voies publiques et les ouvrages nationaux qui doivent imprimer sur la terre d’Europe la trace indestructible des proclamations des droits de l’homme et du citoyen.

On a souvent parlé de l’abolition de la mendicité : on n’a employé que des maréchaussées, des moyens de répression, et un code pénal ; c’étoit ouvrir des tombeaux à l’humanité malheureuse, au lieu d’ouvrir les travaux publics à l’indigence valide.

Laissons les travaux de charité aux monarchies ; cette manière insolente et vile d’administrer des secours ne convient qu’à des esclaves et à des maîtres.

Substituons-y la manière grande et utile des travaux nationaux ouverts sur tout le territoire de la République. Associons le travail individuel à la prospérité nationale ; secourons l’indigence présente en diminuant par des communications nombreuses et faciles les causes de l’indigence future ; honorons le travail, seule richesse des Nations, et portons les hommes, en travaillant pour la République, à se faire du bien.

Ne corrompons plus les âmes par l’habitude de l’oisiveté ; n’allarmons plus la société par les poursuites d’une oisiveté exigeante : l’homme ne peut devoir sa subsistance et ses jouissances qu’à ses travaux, qu’à la meilleure distribution des fortunes et à la prospérité publique.

Voici le projet de décret. (Il est adopté en ces termes).


« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de salut public sur la nécessité de mettre plus d’ensemble et d’uniformité dans la direction de travaux publics qui doivent être ordonnés par le gouvernement et payés par le trésor national, décrète :

« Art. I. Il sera formé une commission de travaux publics, qui réunira tout ce qui est relatif à cet objet. Cette commission sera composée de trois membres nommés par la Convention nationale sur la présentation du comité de salut public.

« II. Ces trois commissaires délibéreront entre eux sur les objets de leur établissement déterminés ci-après. Ils dirigeront immédiatement tous les travaux publics, tant civils que militaires ou maritimes, tels que les ponts-et-chaussées, voies et canaux publics ; les fortifications, ponts et établissemens formés pour la défense des côtes ; les monumens et édifices nationaux ; les ouvrages hydrauliques et de dessèchemens ; la levée des plans, formation des cartes, et enfin toutes les espèces de travaux dont les fonds seront faits par le trésor public.

Sont exceptés seulement ceux qui concernent la fabrication des armes et l’exploitation des mines pour lesquels il y a une commission particulière créée, et provisoirement la construction des vaisseaux de la République, qui restera, quant à présent, sous la direction du ministre de la marine.

« III. Les trois membres de la commission des travaux publics seront responsables solidairement

L’un d’eux signera alternativement toutes les opérations pendant dix jours. Il aura séance au conseil executif provisoire.

Le traitement de chacun de ces commissaires sera de 12000 liv. par an.

« IV. Cette commission s’occupera des objets suivans :

1° De l’examen de tous les projets qui lui seront adressés par les administrations concernant les travaux publics.

2° Des construction, entretien et surveillance des ouvrages et établissemens nationaux.

3° De la création d’un mode simple, uniforme et général d’administration, d’exécution et de

comptabilité pour les travaux. 4° Du choix des articles, de leur classement et répartition.

5° De l’établissement d’une école centrale de travaux publics, et du mode d’examen et de concours auxquels seront assujettis ceux qui voudront être employés à la direction de ces travaux.

« V. La commission est chargée de pourvoir aux approvisionnemens des matières de toute espèce nécessaires à la confection des travaux publics.

En conséquence, elle passera les marchés convenables. Elle pourra exercer le droit de réquisition ou de préhension sur les objets nécessaires aux constructions de son ressort, en se concertant à cet égard avec la œmmission des subsistances et approvisionnemens.

« VI. Elle aura également le droit de réquisition sur les ouvriers nécessaires à l’exécution des travaux publics. Elle aura à sa disposition les ingénieurs militaires, ceux de la marine, ceux des ponts et chaussées, ainsi que les mineurs et les sapeurs, lorsqu’ils ne seront pas en activité aux armées.

Ces ingénieurs, mineurs et sapeurs seront mis à la disposition du ministre de la guerre ou de la marine, par arrêté du conseil exécutif provisoire, pendant que leur service sera nécessaire aux armées, et alors ils seront exclusivement aux ordres de ces ministres.

« VII.Les bureaux des ministres de la guerre et de l’intérieur, relatifs aux travaux et ceux du ministre de la marine, concernant les ports et la défense des côtes, les différens dépôts attachés à ces ministres, et en général tous les papiers qui se trouveront dans les recueils du conseil exécutif provisoire, concernant des objets relatifs aux établissemens et travaux publics, seront distraits sur-le-champ de ces recueils ou bureaux, pour être attachés à ceux de la commission.

« VIII.La commission des travaux publics sera sous la surveillance immédiate du comité de salut public, auquel elle rendra compte de toutes ses opérations.

« IX.Les fonds décrétés jusqu’à ce jour pour les ponts et chaussées, les travaux maritimes et les travaux publics quelconques, seront mis à la disposition de la commission.

Il sera de plus mis à la disposition de cette commission une somme de 600 livres pour subvenir aux frais de son établissement.

« X. Les ministres chargés en ce moment des diverses espèces de travaux publics continueront d’avoir la signature dans leurs parties respectives, jusqu’au 20 germinal, jour auquel la nouvelle commission prendra l’exercice de ses fonctions.

« XI.Le comité de salut public est autorisé à prendre toutes les mesures nécessaires à l’exécution du présent décret. »